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Italie, et nous laisserons Gênes et Naples exposées : et si au contraire M. de Belle-Isle, en exécutant les ordres du roi, défère aux sentimens de M. de La Mina, il en résultera peut-être la perte de l’armée du roi, et en ce cas, ajoute-t-il ailleurs, je dois convenir que la complaisance serait un peu forte[1]. »

Quel aveu! Encore si cette complaisance, comme il l’appelle, devait être appréciée de ceux à qui le sacrifice est offert ! Mais Vauréal, en lui répondant, n’a garde de lui laisser cette illusion. — M c’est à nous, lui écrit-il, sur un ton de raillerie à peine déguisée, à remercier Dieu de nous avoir fait naître sous un roi encore plus généreux et plus magnanime que sa puissance n’est redoutable. Mais quand j’ai voulu faire valoir cet acte de complaisance, croyez-vous, m’a-t-on dit, que nous imaginions que le roi de France voulût sacrifier son armée par complaisance pour le roi d’Espagne? Cette complaisance serait également funeste aux deux rois ; cet ordre a été donné parce que tous les généraux qui ont été consultés ont pensé comme M. de La Mina. — j’ai cru ne pas vous devoir cacher ce trait, parce qu’il importe que vous connaissiez les caractères. »

Aussi, rien d’étonnant que Vauréal, lui-même, écrive à Belle-Isle avec désespoir. — a Vous n’aurez pas tardé à savoir la décision du roi, je vous avoue que les larmes m’en sont venues aux yeux. Nous perdons tout, généraux et ministres, et jamais on ne nous en saura gré, au contraire, on dira que c’est vous qui avez eu tort[2]. » Enfin, d’Argenson lui-même ne pouvait se contenir. — « c’est une déraison, écrivait-il à Belle-Isle, un entêtement de la part des Espagnols, dont je ne saurais démêler le motif, ni le but. Je me suis trouvé en quatrième dans des conversations avec M. de Noailles, M. de Puisieulx et M. d’Huescar, où la patience des anges aurait échoué[3]. »

S’il en était ainsi, pourquoi donc obéir? Qui croirait que cette résignation douloureuse était imposée à des serviteurs d’un roi de France, commandant à deux grandes armées, servi par les plus grands hommes de guerre du temps, et à la veille d’une grande victoire? La funeste conséquence d’une si douloureuse faiblesse ne devait pas se faire attendre.


DUC DE BROGLIE.

  1. Puisieulx à Vauréal, 28 juin, 1er juillet 1747. (Correspondance d’Espagne. — Ministère des affaires étrangères.) La dernière phrase est tirée textuellement d’une lettre de Puisieulx à Belle-Isle du 13 juillet.
  2. Vauréal à Puisieulx, 21 juillet 1747. (Correspondance d’Espagne. — Ministère des affaires étrangères. — A Belle-Isle, 14 juillet 1747. (Ministère de la guerre.)
  3. Le comte d’Argenson à Belle-Isle, 20 juillet 1747. (Ministère de la guerre. — Partie supplémentaire.)