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Quant au maréchal de Saxe, présent aussi sur les lieux, et dont le conseil eût été peut-être bon à prendre, il était trop occupé de sa tâche propre et des préparatifs du combat qui ne pouvait guère être retardé, pour s’en distraire un seul instant. Il eût été délicat d’ailleurs de le consulter sur un intérêt qui touchait à la réputation d’un rival; le comte d’Argenson, qui tenait de moins en moins à lui complaire, n’était nullement pressé de rendre un tel hommage à la supériorité de son caractère et de son jugement.

Il fallait que la démonstration de Belle-Isle fût bien concluante et le danger d’aventurer l’armée sur le littoral étroit de la Méditerranée, mis par lui en bien pleine lumière, car personne ne songea, semble-t-il, à en contester l’évidence ou même à en atténuer la gravité, et cependant la conclusion fut qu’il fallait ordonner à Belle-Isle de commettre cette souveraine imprudence en exigeant de lui ce sacrifice comme une preuve de son patriotisme et en le déchargeant par avance de toute la responsabilité. des conséquences. Le danger de mécontenter l’Espagne et de la pousser à abandonner l’alliance l’emportait sur toute autre considération.

Il faut avoir lu de ses propres yeux cette incroyable résolution pour y ajouter foi, et il faut la laisser commenter à ceux qui la prirent avec une candeur qui accroît encore la surprise. Le premier à qui il convient de donner la parole, c’est le roi lui-même :

« Mon cousin, écrit-il de sa propre main, le 30 juin, si je ne consultais que l’intérêt de la conservation de mes troupes, et si je n’avais d’autre objet que de faire en Italie une guerre offensive, telle qu’elle pût avec le temps procurer un établissement à l’infant Philippe, mon gendre, j’entrerais dans les vues que vous me proposez d’agir, après la prise de Vintimille, par la voie de la diversion en Piémont : j’en sens toute la sagesse et toute la solidité, et je conviens qu’elle est plus conforme aux règles militaires et à la sûreté de nos opérations; mais des motifs plus puissans m’obligent de passer par-dessus cette considération : c’est le reproche éternel que j’aurais à me faire si la république de Gênes, venant à succomber, pouvait imputer sa ruine au défaut d’un secours que j’aurais pu lui donner... Soyez persuadé que je ne vous imputerai rien des événemens, tels qu’ils soient, qui peuvent résulter de l’exécution des ordres que-je vous donne, et que je vous saurai gré de tous les efforts que vous ferez pour les rendre heureux[1]. »

C’est Puisieulx maintenant qui ne craint pas (on se demande si c’est sérieusement) de vanter le désintéressement du roi et de

  1. Le roi à Belle-Isle, de Tongres, 30 juin 1747. (Ministère de la guerre. — Partie supplémentaire.)