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place de Vintimille, dont la défense, un peu plus solide, ne pouvait cependant être prolongée au-delà de quelques jours. Ce fut à ce moment et sur la suite qu’il convenait de donner à cette brillante entrée en campagne que s’éleva, entre les deux généraux La Mina et Belle-Isle, un différend si profond que, aucune conciliation n’étant possible et aucun d’eux ne voulant céder, il fallut en remettre la décision à leurs cours, et, quelque fâcheux que fût le délai, aller chercher une solution à la fois à l’Escurial et en Flandre.

Voici quel était le sujet, effectivement très grave, du dissentiment. Ces premiers succès, si facilement obtenus, avaient au fond plus d’éclat que d’importance, car ils s’expliquaient par la même cause qui avait amené la fin précipitée de l’invasion de la Provence. Les garnisons autrichiennes et piémontaises laissées dans les places fortes étaient partout réduites à un chiffre insuffisant, parce que le gros des forces de l’impératrice et du roi de Sardaigne était concentré devant Gênes, occupé à faire le siège de cette ville où une population tout entière en armes et un gouvernement rétabli par l’insurrection se défendaient avec ténacité. En réalité, ce siège de Gênes était l’affaire principale et (comme nous dirions de nos jours) le véritable objectif de la campagne nouvelle sur lequel tout le monde avait les yeux fixés. Une révolte, victorieuse de troupes réglées et sachant se maintenir contre elles; la résistance populaire justifiée par le sentiment patriotique; c’étaient, à cette époque, des faits assez étranges pour exciter une curiosité et même un intérêt général. « Je ne sais, écrivait Vauréal à Belle-Isle, si jamais la république romaine a fait un acte aussi hardi et aussi vigoureux. Quoi qu’il en soit, les deux couronnes (de France et d’Espagne) n’ont pas, ce me semble, à délibérer sur la résolution de faire l’impossible pour soutenir un peuple dont le courage, si on l’abandonne, n’aura eu d’autre effet que d’assurer son entière destruction, qui imprimera une tache éternelle à l’honneur des deux monarchies. »

L’évêque disait vrai : l’honneur français et castillan avait trop souffert l’année précédente de l’abandon qui avait causé la chute de la noble république; renouveler la même faiblesse et laisser succomber, faute d’aide, des gens qui savaient si bien s’aider eux-mêmes, c’eût été le comble de l’humiliation. Mais, de son côté, Marie-Thérèse ne pouvait digérer l’injure faite à ses armes par une population rebelle, et à tout prix il lui fallait sa vengeance. Le point d’honneur était ainsi engagé des deux parts, soit à seconder, soit à écraser cet effort suprême d’une nation au désespoir.

On avait si bien senti cet intérêt à Madrid et à Versailles, que, dès le commencement de l’hiver, on était tombé d’accord de faire passer