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que les victoires remportées en Flandre avaient été jusque-là plus brillantes qu’utiles, et que c’était en Italie réellement que le sort de la guerre allait se décider. Ils lui faisaient sentir toute l’importance du rôle qui lui était rendu. En réalité, une sorte de concours était ouvert entre les deux hommes de guerre de France les plus en renom, et c’était à qui aurait l’honneur de porter à l’ennemi le coup décisif et de rendre à sa patrie le bienfait de la paix.

À plus de soixante ans accomplis, cependant, et déçu déjà une fois dans ses plus hautes espérances, s’il ne se fût agi que de travailler à son succès personnel, peut-être Belle-Isle eût-il été moins sensible que par le passé aux désirs et aux rêves de l’ambition. Mais une pensée plus désintéressée et presque aussi chère l’animait dans cette nouvelle épreuve. Son frère, le chevalier, avec qui il était dès l’enfance tendrement uni, et qui avait toujours modestement rempli à ses côtés le rôle de confident et de conseiller, venait de sortir aux yeux de tous de cette position secondaire. Appelé par son tour de service à servir d’aide-de-camp à Maurice dans la journée de Rocoux, il s’était acquitté si valeureusement de son devoir qu’une part de la victoire lui était attribuée d’un commun aveu ; depuis lors, la direction de l’armée d’Italie lui avait été remise avant l’arrivée, puis pendant l’absence de son frère, et il y avait fait preuve de toutes les qualités propres au commandement supérieur. Ces services très appréciés le plaçaient au premier rang des officiers de son grade. S’il venait à y joindre quelque action d’éclat dont le résultat fût incontestable, il n’était pas de si haute récompense qui ne pût lui être légitimement accordée. L’amitié fraternelle devait chercher à lui en fournir l’occasion et à lui en réserver l’honneur. Deux maréchaux dans une seule famille, c’eût été une grandeur presque sans exemple. Quelle aventure si, de la disgrâce où ils étaient nés, les deux petits-fils du proscrit Fouquet finissaient par s’élever l’un et l’autre à cette fortune inouïe !

Confiée à des frères si intimement liés, la nouvelle campagne prenait en quelque sorte le caractère d’une affaire de famille : et pour que rien ne manquât à cette réunion, le maréchal se faisait suivre cette fois par son jeune fils, à peine âgé de quinze ans, cet aimable comte de Gisors, dont la brillante destinée devait être si tôt tranchée et qui a dû, de nos jours, à un récit plein de sentiment et de grâce, une célébrité posthume qui ne périra plus. Le petit comte, bien que mis nominalement, suivant l’usage du temps, à la tête d’un régiment (celui de Royal-Barrois), était encore accompagné de son gouverneur et servait de secrétaire à son père, quand le chevalier était séparé du maréchal et que des communications confidentielles devaient passer de l’un à l’autre. Les correspondances militaires de ce temps fécond en contrastes réservent, en vérité, à