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d’un ton de maître ; l’autre, plus circonspect, ne veut jamais se priver des forces dont il ne croit pas pouvoir se passer avec sécurité[1]. »

Ce serait faire trop d’honneur au sens politique de Maurice que de supposer que, soupçonnant ces dissentimens intérieurs de la coalition, il patientait, de son côté, uniquement pour laisser opérer le désordre et le désarroi qui en étaient la suite; son calcul, en se posant en face de Cumberland et en restant l’arme au bras, était plus simple. Il considérait la position que Cumberland s’obstinait à occuper comme étroite, gênée, impossible à conserver indéfiniment. Tandis que lui-même, maître de toutes les ressources des riches provinces flamandes, assis sur une base d’opérations aussi large qu’assurée, n’ayant à craindre ni pénurie de subsistances, ni obstacle quelconque dans ses communications, campait aussi à l’aise que s’il eût été en France, en pleine paix, l’armée alliée, au contraire, se trouvait resserrée dans une bande de terre de quelques lieues de superficie, que la consommation de plus de cent mille hommes ne devait pas tarder à épuiser. Le moment devait donc arriver (si on savait l’attendre) où le général anglais n’aurait que l’alternative soit d’opérer un mouvement rétrograde sur la Hollande, qui aurait la honteuse apparence d’une lutte sans combat, soit de faire un effort pour se dégager et de venir ainsi chercher la bataille en rase campagne. De ces deux résolutions, il n’était guère douteux que la seconde serait au dernier moment préférée par un guerrier en renom qui avait l’honneur de Culloden à soutenir et à prendre la revanche de Fontenoy : et, d’ailleurs, le parti qui régnait à La Haye, obéissant à des passions populaires toujours en fermentation, ne lui aurait pas laissé la liberté de l’hésitation. C’étaient donc pour l’armée française quelques jours à passer après lesquels le combat serait offert dans les conditions mêmes que son chef aurait choisies, et, le lendemain de la victoire, qui ne pouvait manquer (il l’espérait bien) de lui rester fidèle, le siège pouvait être mis indifféremment devant telle place forte qui conviendrait, sans gêne d’aucune sorte, toute armée de secours se trouvant détruite et dispersée d’avance. C’est ce que Maurice a expliqué lui-même dans quelques lignes pleines de sens : — « Mon opinion, dit-il, était, après la prise de la Flandre hollandaise, de ruiner par notre position l’armée de l’ennemi et de conserver la nôtre et d’attendre le bénéfice du temps. — Mais,

  1. D’Arneth, t. III, p. 313, 316. — Suivant cet historien, Batthyanyi aurait voulu agir tout de suite, il n’y put décider le général anglais. — Le général Pajol (Guerres de Louis XV, t. III. p. 529, d’après les correspondances du ministère de la guerre français) pense au contraire que Cumberland était pressé de livrer bataille et fut retenu par ses associés. — Coxe, Pelham administration, t. I, p. 372.