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la plus malheureuse, il vaut mieux tenter l’une que de se soumettre à l’autre. Pour faire montre de ma lecture, je vous remarquerai que c’était la maxime des Romains, de ne jamais faire la paix que victorieux: peut-être poussaient-ils cette idée quelquefois trop loin, mais au fond ils s’en sont bien trouvés. Ne croyez pas, au reste, que je cherche plaies et bosses : au contraire, je vous assure que je suis pacifique, et que je serais bien heureux de contribuer à une paix qui fût solide et ne bouleversât pas l’Europe[1]. »

Une chose aussi venait, j’ai déjà eu l’occasion de le dire, en aide au roi pour combattre le sentiment de lassitude qui aurait pu porter ses sujets et son parlement vers une conclusion de paix trop accommodante à son gré : c’étaient les avantages aussi glorieux que profitables que les flottes anglaises ne cessaient de remporter sur mer et le bénéfice que le commerce anglais pouvait s’en promettre. Il y avait là une source d’honneur et de lucre à laquelle les moins belliqueux ne renonçaient pas aisément, et sur ce point aucune satisfaction n’était refusée à l’amour-propre pas plus qu’à l’intérêt bien entendu, d’une nation qui mettait déjà son commerce au premier rang de ses préoccupations. Ce n’était pas seulement l’expédition tentée par le duc d’Enville pour reprendre Louisbourg, le cap Breton et Annapolis qui venait d’échouer misérablement, les vaisseaux français s’étant vus jetés par la tempête sur une côte désolée de la Nouvelle-Ecosse où le duc lui-même avait péri. Ce succès, quelque important qu’il fût déjà, n’était rien auprès de l’éclatante victoire que remporta l’amiral Anson en vue même des côtes anglaises au cap Finistère, juste au moment où la guerre allait recommencer sur le continent, et à propos pour tempérer l’effet étourdissant produit par la poussée audacieuse de Maurice en Hollande. Dix vaisseaux de la marine royale, escortant sept navires de la compagnie des Indes, également armés en guerre, étaient capturés d’un coup avec leurs chargemens et leurs équipages. L’issue du conflit, à la vérité, n’avait pu être un instant douteuse ; toute la valeur déployée par les navires français et leur commandant La Jonquière ne pouvait rien contre l’écrasante supériorité de l’escadre anglaise qui comptait dix-sept vaisseaux de haut bord. Mais la prise n’en était pas moins d’une valeur inappréciable; on eut de quoi remplir vingt-deux chariots d’or, d’argent et de denrées de prix, auxquels on fit remonter la Tamise et traverser Londres au milieu d’une foule enthousiasmée. De tels trophées allaient au cœur même des négocians

  1. Lettre à Mme la marquise de Monconseil. — 2 décembre 1746. (Correspondance de Chesterfield, t. III. p. 186.)