Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 103.djvu/237

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

jusqu’ici conduisait la jeunesse allemande, dans ses études historiques, « des Thermopyles jusqu’à Rosbach et Vionville; » il veut qu’on remonte « de Gravelotte par Leuthen et Rosbach jusqu’aux Thermopyles. » En d’autres termes, il prend l’histoire à rebours, comme l’a dit un journal inspiré par M. de Bismarck. A la bonne heure, c’est une expérience intéressante à suivre. En réalité, ce qu’il y a de plus curieux, c’est l’accent personnel que Guillaume II met de plus en plus dans tout ce qu’il dit, dans tout ce qu’il fait. Il vient d’envoyer à son ministre de l’instruction publique, à M. de Gossler, son portrait avec cette fière et impérieuse devise : Sic volo, sic jubeo ! Il veut être le réformateur scolaire comme il s’est institué par ses rescrits le réformateur socialiste. Dans un de ses derniers discours, il s’est proclamé aussi le summus episcopus dans les affaires de religion. Il a l’œil et la main à tout. Il veut rester à la tête de son siècle, le représentant de l’esprit nouveau comme il est le chef de son église, le représentant de l’esprit chrétien, — et c’est ainsi qu’il entend continuer la mission de sa maison, qui de tout temps, on le sait, fut la messagère de l’esprit nouveau en Prusse ! Guillaume II va vite en paroles et depuis qu’il a inauguré son règne, il a déjà réformé bien des choses dans ses discours.

Ce n’est malheureusement pas d’une réalisation toujours facile, et tandis que l’empereur pérore, promulgue ses réformes sociales, ses réformes scolaires, la marche pratique des affaires n’est pas aussi aisée. Les maîtres de l’enseignement ne laissent pas de regimber sous la férule impériale et de se défendre contre des expériences qui leur semblent visiblement assez chimériques. Les ministres eux-mêmes, chargés du poids du gouvernement devant les chambres, ne laissent pas de rencontrer depuis quelque temps d’assez sérieuses difficultés dans le Landtag de Prusse. Le ministre de l’instruction publique, celui qui a reçu le sic volo impérial, M. de Gossler, s’est créé des embarras avec un projet de réforme des écoles primaires qui soulève les susceptibilités les plus vives. Le nouveau ministre des finances, M. Miquel, malgré tout son talent, a de la peine à faire accepter son impôt sur le revenu, ses projets financiers qui touchent à une multitude d’intérêts vivaces. Le ministre de l’intérieur surtout, M. de Herrfurth, qui a proposé une réforme communale, rencontre une résistance décidée, opiniâtre de tous les hobereaux intéressés à défendre leurs privilèges locaux. Une commission du Landtag, où les conservateurs dominent, a déjà adopté un amendement qui dénaturerait à peu près complètement la loi, et M. de Herrfurth, qui n’a pas la faveur des conservateurs, a riposté avec une rudesse un peu hautaine. Le chancelier lui-même, M. de Caprivi, s’est cru obligé d’intervenir comme chef du ministère, menaçant le Landtag d’une dissolution. On en était là à la veille des vacances de Noël, de sorte que, si l’empereur multiplie les discours