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est ce qu’on a vu de plus grand et de plus parfait dans l’histoire, que ses grands hommes ont toujours marché dans les voies de la justice et qu’on ne saurait censurer une seule de leurs actions sans se rendre coupable de sacrilège, que Frédéric II fut non-seulement un souverain de génie, mais un type achevé de droiture et d’honnêteté, « Je me souviens encore, poursuit M. Lefranc, des plaisanteries dont Leibniz fut l’objet pour s’être hasardé à dire quelque part que la conduite du Grand-Électeur, dans je ne sais quelle circonstance, était entachée de duplicité. » Et il conclut en disant : « Ce qu’il importe de constater avant tout, c’est le rôle toujours grandissant de l’université dans la formation de l’âme nationale. Le résultat auquel on tendait jadis par voie indirecte et détournée, on le vise et on l’obtient ouvertement aujourd’hui. Considérée à ce point de vue, l’université n’est plus seulement une école, un atelier scientifique, c’est presque un temple; comme au temple, on y fait le prêche, comme au temple, on y enseigne un catéchisme, celui de la patrie, sous toutes ses formes. En même temps, ce culte prépare à la caserne. D’un côté comme de l’autre, la liberté d’action n’est pas plus grande, ni la consigne plus sévère. »

Il y a quelque apparence que la manne sacrée, jusqu’ici du moins, était distribuée dans les collèges prussiens avec plus de ménagement, plus de circonspection que dans les universités. L’Allemagne, avons-nous dit, est le pays de la pédagogie, et les vrais pédagogues ont toujours pensé que la jeunesse avait mieux à faire que de s’occuper des questions du jour, des querelles des partis et des haines internationales, que toute chose doit venir en son temps, qu’on a tort de forcer la terre et les saisons et de hâter les fruits, que les plus précoces ne sont pas les plus savoureux. Ils croient rendre service à leurs écoliers en ne les aidant pas trop tôt à se faire une opinion sur les réalités présentes, en les laissant séjourner quelque temps dans le monde des nobles fictions ou des réalités lointaines. Ils estiment que le premier devoir d’un maître est d’inspirer à ses élèves ce goût de curiosité qui ne nous laisse indifférens à rien, de leur ouvrir l’esprit, de faire de ces jeunes têtes des maisons bien percées, riches en portes et en fenêtres, où l’air et la lumière abondent. « Les enfans, se disent-ils, ne s’ingèrent que trop tôt dans les intrigues et les âpres conflits d’ici-bas. Qu’est-ce que la politique ? Le jeu des passions et des intérêts. Retenons-les pendant quelques années dans ce paradis de l’intelligence où règnent le désintéressement, la paix, où l’on n’entend pour tout bruit que le cri des alcyons. Ils seront tôt ou tard des hommes de parti. Qu’ils commencent par être du parti des neutres ! Quand ils auraient appris de nous à respecter la pensée d’autrui et à croire peut-être qu’il y a quelquefois dans ce monde deux manières d’avoir raison, le mal ne serait pas grand. »

Mais voilà précisément ce que blâme l’empereur Guillaume. Il veut