Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 103.djvu/207

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et ont-ils la manie de s’en rapporter à l’étranger? Parce que la jeunesse ne sait pas comment notre nation s’est développée et qu’elle ignore que les origines de notre situation actuelle datent de l’époque de la Révolution française. » Il s’est trouvé encore des étourdis pour prendre acte de cette déclaration comme d’un hommage rendu par l’empereur Guillaume II à la Révolution de 1789. Ces innocens n’ont pas compris qu’à ses yeux la Révolution est un de ces fléaux qui, par une dispensation divine et contre toute attente, se changent en bienfaits, une de ces œuvres du diable qui tournent au profit des enfans de la lumière, que, selon lui, elle a commencé la diminution, l’affaiblissement de la France et préparé du même coup la grandeur de la Prusse, qu’il lui sait un gré infini d’avoir abouti à des désastres, à Waterloo et de conséquence en conséquence à Gravelotte et à Sedan. Or ce qu’il veut qu’on enseigne en premier lieu dans les collèges prussiens, c’est Gravelotte et Sedan.

L’empereur a reconnu, il est vrai, que l’école avait beaucoup fait jadis pour exalter le patriotisme et qu’elle avait travaillé, à sa manière, aux destinées de la Prusse. « Dans les années 1864, 1866, 1870, a-t-il dit, les écoles prussiennes, les collèges enseignans prussiens étaient dépositaires de l’idée d’unité qui était prêchée partout. Quiconque sortait de l’école pour faire son volontariat ou entrer dans la vie active, était unanime sur ce point : l’empire allemand serait de nouveau restauré et l’Alsace-Lorraine reconquise, » Mais il s’est plaint que, depuis 1871, le mouvement s’était arrêté.

N’a-t-il pas été injuste? Faut-il croire que les professeurs qui enseignent l’histoire dans les gymnases prussiens sont plus occupés d’instruire la jeunesse et de former sa raison, que de lui donner la plus haute idée de son pays et de son gouvernement? Autrefois, les Allemands se piquaient et se vantaient de représenter seuls dans le monde la véritable liberté d’esprit, ou pour parler leur langue, d’être le plus objectif des peuples. Une complaisance excessive pour soi-même, la sotte vanité, l’infatuation, la vaine gloire, la jactance, étaient, à les entendre, des maladies exclusivement françaises, et ils nous rappelaient que les Nabuchodonosor, qu’ils soient des rois ou des peuples, finissent toujours mal, qu’il est bon de songer à ses pieds d’argile et de redouter la petite pierre ou le rocher qui se détache de la montagne. Aujourd’hui cela n’est-il pas changé? Je suis tenté de croire que la modestie est une plante plus répandue et qui donne plus de fleurs de ce côté-ci des Vosges que sur la rive droite du Rhin.

L’étude de l’histoire, a-t-on dit, se divise en deux parties, l’utile et le délectable, et le délectable comprend non-seulement ce qui amuse l’imagination, mais surtout ce qui flatte la vanité, ce qui chatouille l’amour-propre. S’il fallait juger de l’enseignement historique qui se donne dans les gymnases allemands, par celui qui est à la mode dans