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aurait ajouté peut-être que l’éducation est une greffe, que les rameaux des sauvageons sont épineux, que leurs fruits sont âpres et amers, que les plus beaux génies de l’Allemagne furent des sauvageons greffés. Qu’auraient été Lessing, Goethe, Schiller, si la muse antique n’avait mêlé son suc et sa douceur à leur sève native? Il y avait une fois un vieux cordonnier allemand qui, ayant fréquenté dans sa jeunesse le collège des jésuites, se souvenait d’avoir lu Virgile. Il s’écriait quelquefois en ressemelant des pantoufles : « Combien un petit bout de latin orne l’homme tout entier ! » Et il bénissait à sa manière le bon jardinier qui l’avait greffé. On ne dit pas que ses cliens se soient jamais plaints de ses souliers.

Mais Guillaume II a peu de goût pour les cordonniers qui se souviennent d’avoir lu Virgile ou Cicéron, et on assure qu’il n’a pour Goethe lui-même qu’une froide admiration et qu’il range Schiller parmi les génies dangereux qui ont travaillé à propager dans le monde les faux principes et les idées subversives. Entez le Prussien sur le Saxon, le Bavarois et le Souabe, c’est la seule greffe heureuse et désirable, la seule qui convienne à l’Allemand, et quant au Prussien lui-même, gardez-vous de gâter par d’impures vaccinations le bon sang qu’il a reçu de ses ancêtres. Qu’il apprenne de plus en plus à préserver sa justice originelle de tout mélange adultère, à ne rien emprunter à ses voisins, à se défier de leurs doctrines et à condamner leurs coutumes, à se suffire à lui-même, à trouver en lui tout ce qui est nécessaire à son bonheur, voilà le but où il doit tendre, et rien n’est plus propre à l’en rapprocher que de bons cours d’histoire, qui, en chauffant son patriotisme, lui inspireront de nobles dégoûts et le mépris des idoles étrangères. Or voilà justement le grand mal et le principal grief de Guillaume II contre les gymnases : on y enseigne l’histoire à rebours du bon sens, et c’est dans cette branche d’instruction surtout que le nécessaire est sacrifié à l’inutile.

« Du temps où je fréquentais le collège, le Grand-Électeur n’était qu’une apparition nébuleuse; la guerre de sept ans était presque en dehors du programme. » Ses souvenirs ne l’ont-ils pas trompé ? Mais peut-être aussi n’a-t-il pas poussé ses études jusqu’à l’examen de sortie. Quoi qu’il en soit, le Grand-Électeur et la guerre de sept ans, c’est encore le passé et c’est l’histoire de ce siècle qu’il veut qu’on enseigne en premier lieu dans les gymnases. « Les guerres d’émancipation, qui sont la période la plus importante pour tout jeune Allemand, n’étaient pas étudiées ; c’est grâce à des cours complémentaires très intéressans faits par M. Hinzpeter que j’ai été. Dieu merci! en mesure d’apprendre ces choses. Mais c’est là précisément le punctum saliens : pourquoi donc nos jeunes gens sont-ils induits en erreur? pourquoi fait-on tant de plans confus qui visent à réformer la société tout entière? pourquoi tant d’Allemands critiquent-ils leur gouvernement