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de parti-pris les ordres souverains ; la seconde est un acte de mollesse ou de complaisance : l’une et l’autre ont le tort de réformer au préjudice du corps social des condamnations mûrement réfléchies et régulièrement prononcées par les pouvoirs compétens. Peut-être y a-t-il lieu de mettre à profit les conseils des anthropologues italiens, non pour abolir le droit de grâce comme le demandaient déjà les philosophes du dernier siècle, irrités par l’abus des lettres de rémission, d’abolition, etc., mais pour le contenir. Un criminaliste des plus distingués enseignait à la Faculté de Paris, il y a trente ans, que la grâce est un rouage obligé de tout système « construit à la fois sur l’idée de répression et de correction, » et la formule nous semble encore irréprochable. L’anthropologie criminelle va sans doute plus loin, puisqu’elle ne compte pas sur l’amendement du condamné ; mais répudiant le principe, nous n’adoptons pas la conséquence. Nous concevons que la science ne s’accommode pas des « baguettes magiques[1] ; » mais la grâce motivée, raisonnée, reste le palliatif des longues peines, à plus forte raison des peines perpétuelles. La criminologie nous amène à conformer l’exercice du droit aux données de la philosophie pénale, et c’est un service qu’elle rend ; il s’agit seulement de contrôler ses prémisses et de l’arrêter à temps.

L’anthropologie criminelle force aujourd’hui tous les criminalistes, par l’excès même de ses généralisations, d’approfondir une des questions les plus intéressantes qui se soient offertes aux méditations de la science pénitentiaire. Convient-il d’établir des manicomes, c’est-à-dire des asiles spéciaux pour les criminels ? Ce qui gâte, en ce point comme en d’autres, les propositions de la nouvelle école, c’est sa tendance à confondre la folie et la criminalité. Si la plupart des délinquans sont des fous ou des demi-fous ; si, d’ailleurs, comme le soutenait au congrès international de Rome le professeur Solivetti, la « responsabilité partielle » n’existant pas, il faut envoyer tous les « névrosés, » tous les alcooliques, tous les hystériques, tous les « impulsifs, » quelles que soient « la forme ou l’intensité de la psychopathie, » dans ces manicomes, les prisons proprement dites ne seront plus habitées que par leurs gardiens. Mais on peut, cette fois encore, éviter les exagérations des criminologistes en profitant de leurs travaux. Ils n’ont pas été, d’ailleurs, les premiers à s’apercevoir qu’il pouvait être utile à la société de prendre des mesures particulières soit contre les aliénés

  1. « Faites de bonnes lois, disait Bentham, et ne créez pas une baguette magique qui ait la puissance de les annuler. »