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se soient livrés à de tels travaux sans qu’il y ait lieu d’en tirer quelque profit. La criminologie positiviste s’égare le plus souvent ; pourtant, elle nous suggère un certain nombre de réflexions utiles et nous permet de glaner, même dans le champ de ses erreurs, quelques vérités.

Il n’est pas besoin d’une longue réflexion pour s’apercevoir que les anthropologues italiens, trop souvent prêts à sacrifier les droits des individus aux intérêts du corps social, réagissent, avec un certain nombre d’hommes d’État et de moralistes, contre l’affaiblissement systématique de la répression pénale. Dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, l’opinion publique se révoltait à bon droit contre l’atrocité des peines. C’est l’époque où la torture interroge et la douleur répond, où le bourreau peut se dire, après l’exécution décrite par Joseph de Maistre : « Nul ne roue mieux que moi ; » où la peine de mort est appliquée, en dix ans (1760-1770), quarante-six fois à Valence, cent deux fois à Lyon, cinquante-huit fois par le parlement de Grenoble, quatre cent soixante-douze fois par celui d’Aix. On comprend que Voltaire, d’Alembert, Helvétius, d’Holbach, Servan, aient avant tout réclamé l’adoucissement des lois pénales ; que Catherine II, dans des instructions célèbres, Louis XVI, dans sa déclaration du 1er  mai 1788, aient pressé l’accomplissement de cette réforme, et que Marat lui-même ait fait imprimer, en 1789, un livre contre la peine capitale. Mais, ainsi que le reconnut Servan, « l’adoucissement des peines a son époque comme il a sa mesure. » Il serait absurde de se figurer qu’on peut, en affaiblissant indéfiniment le système pénal, le perfectionner indéfiniment, et, si quelques philanthropes se repaissent encore de cette illusion, il est bon de la leur enlever. Quand la crainte du châtiment n’intimide plus le malfaiteur, la criminalité se développe. Non-seulement la société ne doit pas encourager le crime, mais elle est tenue de le décourager. Or, depuis que la France, par exemple, note chaque année le nombre de ses crimes et de ses délits, l’accroissement des uns et des autres n’a point, pour ainsi dire, cessé. La série des cinquante dernières années (1838-1887) a commencé par 237 accusés ou prévenus (jugés à la requête du ministère public), elle finit par 552 pour 100,000 habitans. Dans ce demi-siècle, la criminalité de notre pays a donc augmenté de 133 pour 100. Il y a plusieurs manières d’expliquer cet accroissement déplorable ; mais comme aucune d’elles ne satisfait ni ne rassure l’opinion publique[1], il est impossible que la société ne

  1. Voir sur ce point le premier chapitre de M. H. Joly dans la France criminelle (Paris, 1889).