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nombre d’anthropologues italiens, acceptant ou professant de telles doctrines, aient inscrit le nom de Beccaria sur leur drapeau[1].

Cependant, on veut bien réserver (c’est peut-être une inconséquence !) la peine capitale aux malfaiteurs qui ont « violé le sentiment de pitié avec une cruauté innée et instinctive. » C’est par la déportation que les autres seraient éliminés. M. Lombroso, après avoir montré dans son dernier ouvrage, d’une façon d’ailleurs très sommaire, « quel foyer de corruption et quelle source d’incorrigibilité sont les prisons, » oppose la transportation à l’emprisonnement comme le seul régime qu’on puisse « rationnellement appliquer » à certaines catégories de délinquans. Nous aurions voulu connaître, à vrai dire, son avis sur le système compliqué que M. Garofalo développe dans sa Criminologie. La transportation ordinaire dans une colonie de l’État pour un temps indéterminé, avec une période d’observation de cinq à dix ans, ne serait appliquée qu’aux condamnés pour viol, pour blessures suivies de mutilation et pour des délits moins graves, tels que la calomnie, les sévices sur une personne incapable de se défendre : les voleurs, les incendiaires, les escrocs et les faussaires non aliénés, mais ayant un instinct criminel (soit une névrasthénie morale, selon le professeur Benedikt), que leur improbité fût congénitale ou devînt instinctive après avoir été fortuite, partiraient pour une terre éloignée, une colonie naissante, où la population serait encore espacée, et où le travail assidu serait la condition absolue de l’existence. Mais si la « névrasthénie » est insurmontable, une nouvelle élimination devenant nécessaire, on conduira le relégué dans une contrée sauvage et on l’y abandonnera ; il deviendra l’esclave des indigènes, à moins que ceux-ci ne le percent de leurs flèches. Le même sort attend les condamnés de la première catégorie, qui seraient en état de récidive. Voilà sans doute une nouvelle manière, ingénieuse et terrible, de pratiquer la sélection, et j’entends retentir l’exclamation de notre vieux Montaigne : « Combien j’ai vu de condamnations plus criminelles que crimes ! »

C’est ici qu’il convient de mettre en relief une des fantaisies les plus surprenantes de la criminologie positiviste. Il est bon d’éliminer, pour le présent ; le chef-d’œuvre serait d’éliminer pour l’avenir. Le criminel « engendrant nécessairement un criminel, comme une vipère produit une vipère, » la sélection sera défectueuse si l’on permet aux délinquans de se reproduire. M. Garofalo demande, en conséquence, que l’infécondité leur soit imposée par

  1. Voir Ferri, la Teorica dell’ Imputabilità, Introduzione, p. 8.