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peu près une majorité des deux tiers. Encore faudrait-il établir, ce qu’on ne prouve pas (on peut même aisément prouver le contraire), qu’il y a lieu d’expliquer tous les délits des premiers par l’hérédité seule, tandis qu’on est contraint d’attribuer les délits des seconds à d’autres facteurs.

C’est pourquoi les maîtres de la science anthropologique substituent à la thèse de l’hérédité directe celle de l’hérédité « alternante et interrompue. » Le baron Garofalo, vice-président du tribunal civil de Naples, explique avec une grande précision, dans sa Criminologie, que l’interruption, plus encore quand il s’agit des tendances criminelles (on ne comprend pas bien pourquoi) que des autres transmissions pathologiques, a lieu pendant plusieurs générations et que le caractère d’un ancêtre se rencontre exactement chez un descendant éloigné. C’est l’atavisme humain ; car il y a, nous le verrons bientôt, un atavisme préhumain. « Le crime, a dit M. Lombroso, professeur de médecine légale à l’Université de Turin et chef de l’école, dans le second chapitre de l’Uomo delinquente (Il delilto e la prostituzione nei salvaggi), n’est pas, chez les sauvages, une exception ; c’est la règle presque générale. » Le savant professeur étudie à ce point de vue l’avortement chez les Tasmaniens, dans la baie d’Hudson, dans le bassin de l’Orénoque, dans l’île Formose ; l’infanticide dans la Mélanésie, dans l’Inde, en Chine, au Japon, chez les Hottentots, les Peaux-Rouges, les Esquimaux ; l’homicide des vieillards, des femmes et des valétudinaires chez les Tahitiens, à la Nouvelle-Calédonie, dans la Terre-de-Feu, chez les Sioux, parmi les tribus de la vallée du Missouri, et nous signale ces sauvages de l’Australie, « qui ne font pas plus de cas de la vie d’un homme que de celle d’un crapaud. » Or les délinquans nés, ceux qu’on nomme vulgairement malfaiteurs de profession, forment une race à part, minorité dégénérée par voie d’atavisme et retournant à l’état sauvage ; ils présentent tous les instincts et tous les sentimens du sauvage, entre autres l’insensibilité physiologique, l’insensibilité morale, la manie de l’argot, l’habitude du tatouage, etc. Ces êtres mal constitués, incapables de s’adapter à notre milieu social, auraient dû périr dans la lutte pour l’existence, ainsi que le démontre ou croit le démontrer M. Sergi, professeur à l’Université de Rome, dans son étude sur les Dégénérations humaines. Par malheur, ils survivent, mais dans de telles conditions d’infériorité qu’ils sont conduits fatalement au crime. Cette thèse, au moment même où M. Lombroso commençait peut-être à s’en écarter, tout au moins à la présenter sous une forme différente, a été reprise en Sicile, avec une grande vigueur, par le docteur Napoléon Colajanni (la Sociologia criminale. — Catania,