Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 103.djvu/166

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Lécapène, les empereurs (ils étaient alors quatre ou cinq associés) sont d’un côté, et, de l’autre, assis sur le trône impérial, pieds nus, la main levée pour enseigner et bénir, la tête environnée d’un nimbe, le Christ « Roi des rois. » Sous Romain II et Nicéphore, les puissances du ciel empiètent plus encore sur les puissances de la terre : au revers, le Christ aux pieds nus continue à occuper le trône ; sur la face, l’empereur est en partage avec la Théotokos. Enfin, sous Zimiscès (qui sans doute avait conscience de son usurpation), l’empereur disparaît complètement : d’un côté, l’effigie du Christ; de l’autre, cette légende: « Jésus-Christ, Basileus des Romains. » C’est seulement sous les héritiers légitimes, Constantin VIII et Basile II, que les princes reparaissent sur la face, laissant ordinairement le revers à Celui dont ils se reconnaissent les lieutenans. Dans les réceptions d’ambassadeurs, à côté du trône occupé par l’empereur, il y a un trône vide : c’est celui du vrai Roi. Les envoyés barbares amenés au pied de l’estrade sont moins impressionnés par la majesté du Basileus visible que par le mystère de ce trône vide et de ce Basileus invisible. Quelquefois, sur le siège non occupé, on place un Évangile ouvert, cette loi suprême des Byzantins; ou bien quelque image révérée, comme celle d’Édesse, après qu’on l’eut reconquise en Asie.

De même que le Basileus règne par le Christ, c’est par lui qu’il gouverne. Basile Ier apprenait par des songes envoyés d’en haut la solution des affaires difficiles. « Quoi d’étonnant, disait-il, si ceux qui exercent le pouvoir sur le monde comme un sacerdoce (litourgia), et qui accomplissent un ministère (diakonia] vraiment divin, reçoivent de la Providence une direction vers le salut et apprennent d’elle les choses futures ? » Inspiré de Dieu, possédé de l’Esprit Saint, le Basileus donnait des ordres comme la sibylle antique rendait des oracles : thespisma, dans le langage officiel, est synonyme de décret impérial.

C’est aussi par le Christ que le Basileus était victorieux. On n’entrait en campagne qu’après avoir pris l’avis du ciel : Alexis Comnène plaçait sous la nappe de l’autel deux plans d’opérations militaires, passait la nuit en prières et, au matin, prenait celui des deux plans que la Providence lui mettait sous la main. Jean Zimiscès, sur le point de marcher contre les Russes, visitait les églises et avec la plus entière conviction demandait à la sainte Sophia, la Sagesse divine, de lui envoyer un ange pour marcher en tête de l’armée. Ce qui précédait les légions, ce n’étaient pas des drapeaux militaires, une impériale bannière : c’était l’image de la Vierge conductrice, ou celles de saint Michel, des saints Théodore, de saint George. Marie était non-seulement la conductrice, mais le « collègue des généraux» (systratègos). Héraclius clouait des images