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L’Église leur permit de prendre leur revanche sur d’autres points. Elle a fait de l’intronisation de l’empereur une cérémonie religieuse, un sacrement. Tandis que l’élection à l’empire n’était plus qu’une vaine formule, que la coutume des ancêtres était abolie, que la volonté ou le consentement des sujets étaient supposés, c’est Dieu même qui remplaçait le peuple et le sénat d’autrefois. C’est lui qui était censé élire (χειροτόνειν) le prince ; c’est le Christ qui est le grand électeur, et l’empereur, parmi ses titres, porte celui d’élu de la Trinité, nommé par le suffrage (psèphos) du Roi des rois. Sur les monnaies byzantines, on voit fréquemment une main qui, au-dessus de la tête du Basileus, sort d’un nuage pour bénir et pour élire. Quand l’empereur a été, à la mode des barbares, élevé sur un bouclier et a reçu ainsi l’investiture militaire, on procède au couronnement, cérémonie civile et surtout religieuse. Où se fait ce couronnement? Sous les premiers empereurs, c’est en général dans quelque salle du palais; puis, quand on sent la nécessité d’imprimer à la dignité impériale un caractère de plus en plus sacré, c’est dans une église, c’est même presque uniquement dans Sainte-Sophie, parmi les chants religieux, les flots d’encens et la plus grande pompe ecclésiastique qui se puisse imaginer. Ce n’est plus par la main de l’empereur lui-même, mais par la main du patriarche, que la couronne, prise sur l’autel, est posée sur la tête impériale. Enfin, quelque confusion que présentent parfois les textes et malgré le silence du Livre des cérémonies, on peut affirmer que l’empereur recevait l’onction. Siméon de Thessalonique le dit expressément : « Le patriarche fait la croix, avec l’huile sainte, sur le front du prince, en mémoire de celui qui est le Roi de l’univers et qui, par cette imitation de sa propre onction, le constitue en puissance sur la terre… L’huile, versée en forme de croix par le patriarche, montre que c’est le Christ qui fait l’onction. »

Ce sacrement, que l’Église a créé pour l’empereur, qui le marque du sceau de Dieu, sinon au même titre que l’évêque ou le prêtre, du moins à un titre égal, donne à sa personne un caractère particulièrement auguste. Rappelons-nous que le sacre de Reims rendait nos rois inviolables, et que Jeanne Darc pensait avoir fait du dauphin un roi, uniquement parce qu’elle lui avait ouvert, les armes à la main, le chemin qui conduisait à la sainte-ampoule. Il fallut toute l’instabilité des institutions à Byzance pour que le même résultat n’y fût pas obtenu. Déjà, cependant l’empereur, élu de Dieu, oint de Dieu, prenait une autorité considérable : il cessait de n’être que la créature des légions, ou d’un peuple d’émeutiers, ou d’intrigues de sénat et de palais, pour devenir vraiment un roi. Les factions dans leurs acclamations rythmées, le proclamaient