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III.

Il convient d’insister sur le caractère religieux de la royauté byzantine ; assurément il se retrouve aussi dans les royautés européennes, surtout dans la royauté française, et même, hors de la chrétienté, dans les monarchies de l’Orient ; mais à Byzance, ce caractère religieux présente des nuances qui ne se rencontrent nulle part ailleurs. Les potentats de l’ancien Orient, de l’ancienne Égypte, étaient sur la terre les incarnations de la divinité, Mithra ou Osiris ; ils étaient issus des dieux, étaient eux-mêmes des dieux ; ils recevaient après leur mort et parfois de leur vivant les honneurs divins. Les dynasties du ciel et de la terre se confondaient ; parmi les radjepoutes de l’Inde, les uns descendent du soleil et les autres de la lune ; les rois de Perse étaient frères de ces deux astres, et l’empereur de la Chine est fils du ciel. Sur les bords du Tibre, la déesse Rome, c’est-à-dire la Patrie, s’était incarnée dans un homme, et le peuple romain s’était fait César.

L’empereur se laissa d’abord élever des autels qu’il partageait avec la déesse Rome, comme Auguste à la place des Terreaux de Lyon ; puis il en accepta pour lui seul. Quiconque insultait à sa statue, même à son effigie empreinte sur les monnaies, était sacrilège. Sacrilège aussi le conspirateur politique : le crime de lèse-majesté impliquait un crime contre la religion. Rien d’étonnant si les poètes s’obstinaient à placer l’empereur encore vivant dans le ciel, entre deux signes du zodiaque ; s’il se parait du nom et des attributs de Jupiter ou d’Hercule, comme Dioclétien et Maximien ; si le plat de champignons d’Agrippine faisait de Claude un habitant de l’Olympe, et si Vespasien, railleur devant la mort, disait : « Je sens que je deviens dieu. » Tout trépas d’empereur était une apothéose, dans le sens étymologique du mot, même quand elle était une « apokolokynthose. »

Oui, mais tous ces rois de Perse ou d’Égypte, tous ces empereurs de Rome étaient des païens : ceux de Byzance étaient des chrétiens. Ils se réduisirent donc à être les représentans et les vicaires de Dieu. Ainsi firent les souverains musulmans, pour la même raison, se contentant d’être « l’ombre d’Allah sur la terre. » Le Basileus ne pouvait être un dieu, mais seulement un prêtre. Il aspira donc aux honneurs non plus de l’apothéose, mais du sacerdoce. Constantin savait ce qu’il voulait dire en se proclamant l’évêque des choses du dehors. Les pères du concile de Chalcédoine disaient à Marcien : « Tu es à la fois prêtre et empereur, vainqueur à la guerre et docteur de la foi. » Léon l’Isaurien, signifiant au pape Grégoire III ses décrets iconoclastes, les motivait