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reprises. Malheureusement, il ne reste aucun vestige des peintures dont il orna ce fameux castello di Porta Giovia (la porte de Jupiter, aujourd’hui porte de Verceil), dans lequel les Visconti avaient accumule tant de trésors, et qui, après avoir été démoli de fond en comble lors de la révolution de 1447, fut reconstruit par les Sforza avec plus de magnificence encore, puis de nouveau livré au pillage, et enfin réduit de nos jours en vulgaire caserne, en attendant que la restauration confiée à un éminent architecte, M. Lucas Beltrami, fasse de ce monument vénérable le musée central digne de la ville de Milan. Une note autographe de Léonard nous a conservé le détail de quelques-uns de ces travaux : ils rentrent dans le domaine de la décoration plutôt que dans celui de la peinture d’histoire. Voici ce document : « La gouttière étroite sur les salles, 30 livres; la gouttière placée sous celle-ci, chaque compartiment carré à 7 livres; dépenses pour azur, or, céruse, plâtre, enduit, colle, 3 livres; temps employé, trois journées; les histoires (les sujets) sous ces gouttières avec leurs pilastres, 12 livres chacune; j’estime la dépense pour l’émail et l’azur et d’autres couleurs à 1 livre 1/2. J’estime les journées à 5 pour la recherche de la composition, le petit pilastre et autres choses. Item pour chaque petite voûte, 7 livres... La corniche sous la fenêtre, 6 sous la brasse. Item pour 24 histoires romaines (c’est-à-dire des sujets antiques, peut-être des grotesques), 10 livres, » etc. La modicité du prix alloué pour ce dernier travail, — 10 livres seulement, — nous autorise à croire qu’il ne s’agissait que de petits motifs de décoration, peut-être en camaïeu.

Dans le parc du château, Léonard construisit et décora les bains destinés à la duchesse Béatrix. Il ne se contenta pas d’y faire œuvre d’architecte et de décorateur, mais composa le modèle des têtes d’anguilles destinées à livrer passage soit à l’eau chaude, soit à l’eau froide, et poussa la précaution jusqu’à indiquer la proportion de chacun de ces liquides : trois parties d’eau chaude contre quatre d’eau froide. La date de 1492, tracée à quelque distance du plan de ces bains, paraît se rapporter à l’année de leur construction.


V.

Rien de plus obscur que l’histoire de la Cène de Santa-Maria delle Grazie : on ignore quand ce chef-d’œuvre fut commencé, quand il fut fini, de même que l’on ignore (et là se trouve, à mon avis, le nœud de la question) dans quelles conditions il prit naissance. Disons tout de suite, pour n’avoir plus besoin de revenir sur ce problème de chronologie, que Léonard travaillait à sa peinture en 1497 encore et qu’il la mena à fin en 1498 au plus tard.