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un peu longue et amincie, mais du galbe le plus pur, s’enlevant dans une gamme brunâtre sur un fond sombre, à la bouche qui sourit légèrement, avec ses coins accentués, à l’œil noir, profond et limpide, du faire le plus gras et le plus généreux. Mais voilà que M. Morelli revendique ce portrait en faveur d’un artiste médiocre et inconnu, un certain Ambrogio de Prédis, tandis que M. Bode, tout en proclamant les droits de Léonard, affirme que la jeune dame représentée n’est pas Blanche-Marie Sforza. Heureusement, la démonstration de M. Bode est absolument décisive en ce qui concerne l’authenticité du portrait. Le savant conservateur du musée de Berlin prouve qu’Ambrogio de Prédis a bien dessiné un portrait de Blanche-Marie, qui se trouve aujourd’hui à l’Académie de Venise, mais que ce dessin n’a rien de commun, ni pour la physionomie, ni pour la facture, avec le chef-d’œuvre de la Bibliothèque Ambrosienne.

A la période milanaise de Léonard appartient probablement aussi le portrait du Louvre, connu sous le titre de la Belle Ferronnière. On sait que cette œuvre délicate, avec sa facture franche et ferme, son coloris nourri comme celui des plus beaux Ghirlandajo, est malheureusement déparée par de nombreuses craquelures et par des retouches maladroites qui l’ont alourdie et comme estompée. N’importe, sa distinction native perce à travers toutes les mutilations. Le costume y est à la fois noble et simple : corsage d’un beau rouge; manches à crevés qui alternent avec des nœuds jaunâtres ; broderie d’or à fond noir sur l’échancrure qui laisse voir le cou. Pour bijoux, un rubis ou un diamant fixé sur le front par un cordon ; puis, autour du cou, dont il fait quatre fois le tour, un collier à cylindres alternativement blancs et noirs. Devant le portrait, une balustrade en pierre. C’est toute la simplicité, la fraîcheur, le parfum des Primitifs, mais avec une grâce plus haute et plus de liberté. Les yeux sont grands, bien fendus ; les paupières caressées avec amour, un peu chargées et alourdies ; la bouche suave et noble ; les cheveux aplatis en bandeaux sur les tempes ; le galbe d’une grâce rare ; l’expression générale enfin sérieuse et cependant chaste et timide. Assurément, si nous avons devant nous la favorite d’un prince, ce n’est pas une de ces maîtresses qui s’affichent, à qui il faut d’éclatantes parures et des fêtes sans nombre, la belle Catelina par exemple. On songe plutôt à une de ces femmes à qui suffit le bonheur de savoir qu’elles sont aimées d’un grand prince, — une Marie Touchet ou la Claire d’Egmont, — et qui ne veulent de lui ni richesses ni gloire, mais seulement son affection.


L’embellissement de la résidence ducale occupa Léonard à diverses