Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 103.djvu/119

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pouvoir, voilà qui eût soulevé ses ombrageux concitoyens ! Autant leur proposer de rétablir le culte des idoles ! Aussi fut-ce en dehors de leur patrie que tous les sculpteurs florentins de mérite se virent réduits à exécuter des effigies monumentales : Donatello, à Padoue (statue équestre du général Gattamelata) ; Baroncelli, à Ferrare (statue équestre du marquis Nicolas d’Este) ; Verrocchio, à Venise (statue équestre du général Colleone) ; et enfin Léonard, à Milan.

Le duc François était mort en 1466 : ce fut en 1472 seulement que son successeur, Galéas-Marie, conçut le projet d’élever au fondateur de la dynastie des Sforza un monument digne de lui, un tombeau au-dessus duquel se dresserait, comme sur les tombeaux des Scaliger à Vérone, la statue équestre du défunt. Une dizaine d’années durant, on consulta artistes sur artistes, on rédigea projets sur projets. Sur le refus ou le désistement des frères Mantegazza, les habiles sculpteurs de la chartreuse de Pavie, Galéas-Marie fit appel au fameux sculpteur et peintre florentin Antonio del Pollajuolo. Après la mort de cet artiste (1498), « on trouva chez lui le projet et le modèle qu’il avait exécutés pour la statue équestre de François Sforza, commandée par Ludovic le More. Ce modèle était représenté de deux manières différentes dans les dessins faisant partie de son recueil : l’un montrait le duc François ayant au-dessous de lui Vérone ; l’autre le même duc, tout armé, faisant sauter son cheval par-dessus un homme armé. Je n’ai pu savoir pourquoi ce projet n’a pas été exécuté (Vasari). » — C’est ce second dessin qu’un amateur italien, M. Morelli, a cru retrouver dans un dessin du cabinet des estampes de Munich, tandis que M. Courajod le considère, au contraire, comme la représentation même de la statue de Léonard. Rien ne s’oppose d’ailleurs, ajoute le savant conservateur du musée du Louvre, à ce que Pollajuolo ait vu et dessiné la statue de Léonard. M. Richter, de son côté, a supposé que le même programme, — un cheval se cabrant sur un homme tombé, — fut imposé aux différens concurrens. Je ferai observer, pour ma part, que, si le dessin de Munich représente l’œuvre de Léonard, il la représente singulièrement alourdie et déformée. Rien de plus raide ni de plus inerte que l’arrière-train du cheval ; c’est à peine s’il est affermi sur ses jarrets ; les jambes de devant, très visiblement ankylosées, ne sont pas moins défectueuses. Seuls la tête et le cou ont une certaine allure. Quant au cavalier, il se tient maladroitement en selle, sans noblesse comme sans naturel. L’ensemble, enfin, ne présente aucune des lignes monumentales, rythmées, on serait tenté de dire chantantes, que Léonard a si visiblement recherchées dans ses dessins de Windsor.

Le bruit des discussions auxquelles avait donné lieu, une dizaine d’années durant, le choix d’un modèle, était venu jusqu’aux oreilles