Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 99.djvu/958

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

teurs, qui irrite les cabaretiers menacés dans leurs intérêts et provoque une véritable tempête parmi les amis de la tempérance. Un mouvement s’est organisé contre ce bill, trop rigoureux pour les uns, insuffisant pour les autres, et, pas plus tard que dimanche, il y a eu à Londres, à Hyde-Park, une immense manifestation, presque aussi nombreuse et aussi animée que les dernières manifestations ouvrières, contre les propositions du gouvernement. Que fera M. Goschen ? S’il va jusqu’au bout, il risque de préparer au ministère, dans les élections prochaines, des adversaires ardens, de redoutables coalitions ennemies ; s’il recule devant cet orage d’impopularité, il s’affaiblit lui-même et perd une partie de son crédit. Et c’est ainsi que s’enchevêtrent autour du ministère anglais les difficultés intérieures ou extérieures dont l’opposition profitera un jour ou l’autre !

Comme les autres pays, l’Espagne a eu, dans ces derniers temps, ses mouvemens socialistes, ses grèves, et ses manifestations ouvrières. Plus que d’autres pays même peut-être elle a ressenti cette sorte de commotion spontanée ou artificielle qui a éclaté presque partout à la fois, au-delà des Pyrénées comme ailleurs, à Barcelone, à Valence, dans quelques villes du Midi aussi bien qu’à Madrid. Tout ne s’est pas passé sans trouble sur certains points de la Péninsule, notamment en Catalogne et à Valence, où l’autorité militaire a été obligée de s’armer de l’état de siège pour maintenir la paix publique. À Madrid, il y a eu des manifestations, des meetings et des discours, même des discours républicains et socialistes, sans désordres et sans apparence de sédition. Aujourd’hui, l’agitation est à demi dissipée, les grèves semblent diminuer, les esprits commencent à se rasseoir. La scène n’est plus aux agitateurs et aux manifestans. Il reste toujours, après comme avant, un état politique assez difficile, assez obscur. Depuis les dernières crises ministérielles et parlementaires, on ne peut pas dire que cet état politique se soit précisément aggravé ; on ne peut pas dire non plus qu’il se soit sensiblement éclairci et fixé. Il serait plus vrai de dire qu’il y a dans les affaires espagnoles une crise qui n’a été qu’à demi dénouée, il y a quelque temps, et qui continue.

La vérité est que M. Sagasta, à travers toutes les difficultés qui l’assiègent, et les métamorphoses du ministère qu’il dirige depuis quatre ans, poursuit avec ténacité la réalisation de son programme. Il a même fini par obtenir du sénat le vote du suffrage universel, qui avait été déjà voté par le congrès, et qui redevient désormais la loi du pays. Sa situation ne reste pas moins précaire, incertaine, et, s’il a vu récemment disparaître un ennemi redoutable, le général Cassola, mort depuis peu, il ne cesse pas d’avoir autour de lui une majorité incohérente et devant lui bien des adversaires passionnés, impatiens, qui lui rendent le gouvernement laborieux. Comment sortira-t-on de là ? Qui sera chargé d’appliquer le suffrage universel, récemment restauré ? Ce n’est