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Eh bien ! oui, sans doute, le gouvernement a osé ces jours derniers ; il a eu une juste et prévoyante inspiration en rendant la liberté au jeune prisonnier de Clairvaux, à M. le duc d’Orléans. Il ne pouvait rien faire de mieux que de mettre fin à une épreuve inutilement pénible pour le prisonnier et peu glorieuse, humiliante pour le gouvernement. A dire vrai même, ce n’est qu’une résolution un peu tardive. Il y a longtemps déjà qu’on aurait dû en finir, et, accompli plus tôt, cet acte aurait laissé à un épisode de notre vie contemporaine son caractère de chevaleresque et inoffensive témérité. Car enfin, à quel commandement impérieux de légalité, à quelle nécessité politique répondait cette peine prolongée ?

Ce jeune prince devenu l’hôte inattendu de Clairvaux, quel grand crime avait-il commis ? Eût-il cédé à une vivacité de jeunesse, à une impatience de son sang généreux, était-il donc si coupable ? Il a voulu inscrire son nom parmi ceux des conscrits de la France, il a désiré servir son pays, il n’a fait, il n’a voulu rien faire de plus. Si on a fait de la politique pour lui, il y a été étranger ; il l’a dit, et par son attitude pendant sa captivité, il a prouvé qu’il disait vrai. Il a fait ses cent jours de prison simplement, sans une plainte, sans un murmure, sans ostentation. Il a attendu sans impatience, sans paraître même désirer une grâce qui devait encore une fois faire de lui un exilé. Pourquoi a-t-on tant tardé ? Ah ! c’est justement la fatalité des fautes politiques d’une certaine nature. Elles s’enchaînent, la première conduit à la seconde et à toutes les autres. Si dès l’origine, le dernier ministère avait eu un éclair de raison et de résolution, il n’eût pas même laissé à cette aventure le temps de se développer ; il eût tout prévenu par un acte hardi de responsabilité. Si après une instruction inutile et une condamnation démesurée, il avait provoqué une grâce immédiate, il tranchait encore la question, il se dégageait d’un seul coup. Il ne savait rien faire à propos, il s’arrêtait devant une démonstration des radicaux, et il finissait par laisser à un nouveau ministère, celui qui existe aujourd’hui, cet héritage de fautes accumulées. Il léguait un prisonnier qui était, si l’on veut, le captif du gouvernement et dont le gouvernement, à son tour, était quelque peu le captif, — si bien qu’en délivrant le jeune prince, le ministère s’est sûrement délivré lui-même. Il s’est du moins dégagé d’un embarras en faisant aujourd’hui ce qui aurait dû être fait dès le premier jour, en mettant fin à des rigueurs inutiles, en reconduisant M. le duc d’Orléans à la frontière.

C’est un fait accompli, soit ! M. le duc d’Orléans a retrouvé la liberté qu’il avait risquée avec l’entrain et la bonne grâce d’un généreux cœur de vingt ans, rien de mieux. Le ministère a fini par se décider, par oser, c’est son mérite. Le malheur est qu’il n’a même pas su rester bien inspiré jusqu’au bout et que, par une tactique qui n’a rien de