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dresse dans une robe d’un rouge éclatant, laissant traîner les grands plis noirs de son manteau de fourrures. Pour l’exactitude et pour la finesse des modelés, pour la distinction générale, cette dernière est la victorieuse ; la plus charmante, pour la musique harmonieuse et douce des colorations savamment rythmées, c’est la troisième. Entre ces quatre grandes toiles, vers lesquelles l’éclat des velours, des satins, des visages attire d’abord les yeux de la foule, M. Carolus Duran a placé deux portraits à mi-corps qui nous semblent supérieurs encore par des qualités d’un ordre plus relevé, par l’expression puissante et complète de physionomies moins naturellement séduisantes ; c’est d’abord le Portrait de M. Thaulow, le paysagiste norvégien, bonne figure bien saine et bien fraîche, vivante, ouverte, s’épanouissant, toute rose et blonde, en pleine lumière, au-dessus d’un éclatant veston bleu tout neuf. Ce n’est qu’une esquisse, mais emportée de haute verve, d’un accent singulièrement joyeux. C’est ensuite le Portrait de Mme ***, une vieille dame, en noir, grasse, un peu ridée, à l’air bienveillant, sans coquetterie et sans prétention. C’est, à notre gré, l’un des meilleurs morceaux, le plus sérieux et le plus poussé peut-être qu’ait peint M. Carolus Duran.

MM. Gervex, Roll, Duez, dans cette course au clocher, ont été moins heureux que M. Carolus Duran. Les portraits à mi-corps de M. Gervex ne sont, cette année, qu’intéressans, et sa pièce capitale, le Cabinet de rédaction de la « République française, » n’est pas exécutée avec la vigueur et l’éclat qu’on devait attendre. Les cinq personnages réunis, MM. Spuller, Challemel-Lacour, Joseph Reinach, Emmanuel Arène, Jules Roche, par la variété des types et par le caractère accentué des physionomies, offraient cependant, à un dessinateur sérieux et à un coloriste brillant comme l’est souvent M. Gervex, l’occasion de faire un tableau historique d’un intérêt exceptionnel. Presque tout, par malheur, sauf la tête de M. Jules Roche, y reste à l’état vague d’ébauche ou d’indication. N’en est-il pas de même dans le Portrait de George Hugo, par M. Duez, dans ceux de M. Coquelin cadet et de Mlle Jeanne Hading, par M. Roll ? A l’inexactitude des modelés, à l’insuffisance de la structure, au désaccord des figures et des fonds, on devine une précipitation fâcheuse. Heureusement pour M. Roll, il affirme à quelques pas de là, dans la salle des pastels, par le beau Portrait de M. Antonin Proust, la persistance et les progrès de son talent. La tête y est modelée avec une souplesse et une délicatesse qui sont rares dans l’œuvre de M. Roll, dont la qualité ordinaire est plutôt l’énergie. On revoit aussi, de lui, avec plaisir, quelques