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une des meilleures peintures qu’ait faites M. Artz, fermement établie, solidement brossée, avec une gravité simple. La composition de M. Uhde est, dans ce genre, la mieux conçue et la mieux exécutée. Là-bas est l’auberge, dit un piéton boueux et harassé, un ouvrier en voyage, à sa compagne épuisée qui ne peut plus avancer le pied dans les ornières glissantes d’une route défoncée. Là-bas est l’auberge ! et, en effet, à travers le brouillard qui tombe déjà sur l’horizon, on aperçoit, jaunissante et tremblotante, une lueur de lampe dans la lucarne d’une petite maison. Là-bas est l’auberge ! et il n’est que temps d’y arriver, car la pauvre femme, prête à lâcher son petit panier, s’affaisse sur ses jambes appesanties, et l’ami qui la soutient n’est guère plus valide, s’appuyant avec peine sur son bâton. Un peu plus, et ce groupe désespéré tomberait à demi mort de fatigue, de froid, peut-être de faim, sur ce grand chemin désert et glacé, bordé d’arbres dénudés. Les tonalités, tristes et grisâtres, dans lesquelles se plaît l’imagination de M. Uhde, s’appliquaient à merveille à ce sujet ; pour exprimer la lassitude de ces malheureux errans, le découragement de l’une, la tendresse de l’autre, la tristesse froide du paysage embrumé, il a trouvé dans la touche et dans la couleur des accens d’une pénétration extraordinaire. Rien ne montre mieux que le tableau de M. Uhde, à quel point, dans la peinture, la matière s’associe à la pensée et peut devenir l’expression du sentiment. Ce qui fait la qualité de l’œuvre de M. Uhde, comme de celle de M. Israels, c’est que le maniement habile et libre de la matière colorante n’y sert qu’à bien exprimer ce qu’ils ont l’intention de dire. L’ouvrier s’y fait sentir, mais ne s’y substitue pas à l’artiste. Nous regrettons de voir que MM. Liebermann et Kuehl, dont les figures ont tant de caractère, manifestent quelque tendance à introduire, dans leurs peintures, par une sorte de travail trop apparent de maçonnerie savante, des effets de trompe-l’œil grossiers qui n’ont plus qu’un rapport lointain avec l’art. Les pierres, les briques, les plâtres, dans la Maison de retraite à Leiden, par M. Liebermann, prennent un relief dur et brutal qui écrase les figurines ; ces dernières, de bonnes vieilles, à demi paralysées, blanches et raides dans leurs uniformes de bure, sont toujours modelées et sculptées, d’ailleurs, avec cette énergie rigide qui caractérise le talent si personnel de l’artiste. Que dire des empâtemens en relief par lesquels M. Kuehl reproduit les décorations sculptées, les orfèvreries, les cadres, les moulures, dans son Intérieur de l’église Saint-Jean, à Munich, et dans son Ave Maria ? Ceci nous ramène aux procédés enfantins des peintres gothiques accrochant sur leurs panneaux, aux mains de saint Pierre, de véritables clefs en métal. C’est là de l’habileté à rebours ; sans cet excès de