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vraiment remarquables. Il n’a, au Champ de Mars, qu’une étude de deux petites filles, en sarrau de toile, assises côte à côte, avec des expressions craintives et sérieuses d’enfans pauvres, les Boëchelles ; c’est touchant et saisissant à force de simplicité, d’énergie aussi et de justesse dans les indications.

Les peintres étrangers ont-ils plus confiance que les peintres français dans la candeur et dans la bienveillance du public auquel ils s’adressent ? Redoutent-ils moins que les nôtres les ironies méprisantes, les faciles plaisanteries, l’indifférence pédante, lorsqu’ils présentent des épisodes de la vie populaire, scènes de famille ou de travail, scènes de joies ou de douleurs ? Quelle qu’en soit la cause, généralement ils vont plus à fond que nous, avec moins de crainte du ridicule, avec moins de souci du joli, dans l’intelligence et dans la représentation de toutes ces créatures déshéritées et bornées, dont les passions et les sentimens offrent, au peintre comme au poète, une matière d’autant plus riche et heureuse que ces passions sont plus spontanées et ces sentimens plus naturels. Comparez nos amis des paysans, les plus sincères et les plus habiles, MM. Jules Breton et Lhermitte, par exemple, avec ces Hollandais et Allemands que j’aperçois là-bas, MM. Israels, Artz, Uhde, Liebermann et vous comprendrez bien ce que je veux dire.

Ah ! certainement, ni chez M. Israels, ni chez M. Uhde, on ne saisit apparence du désir de retrouver, sous les haillons du travail ou de la misère, quelques-unes de ces finesses dans le type, de ces distinctions dans le geste qui ne sont point le privilège des aristocraties et qu’on peut rencontrer, en effet, chez les paysans et les ouvriers, d’autant plus frappantes qu’elles y sont plus rares et accompagnées encore d’une simplicité qui en relève le prix ! Leurs misérables sont de vrais misérables ; ils ne dissimulent ni leur laideur, ni leurs haillons, ni leurs saletés, ils ne les étalent pas non plus, ils ne cherchent pas à en apitoyer notre sentimentalité ; ils souffrent pour eux, pleurent pour eux, et c’est pourquoi ils nous émeuvent tant. Sans doute, on l’a remarqué, depuis quelques années, la peinture de M. Israels s’assombrit, s’attriste, s’alourdit de plus en plus ; la lumière s’y fait rare et grise ; c’est que les pauvres gens auxquels il s’intéresse sont eux-mêmes bien tristes sous un ciel sombre et lourd. Les Jeunes filles de Zandvoort allant à la criée, à travers des chemins boueux, sous une bourrasque dure et aigre, ne sont pas de celles qui chantonnent tous les jours en accomplissant leur rude besogne. La Petite Ménagère, de M. Artz, qui épluche les légumes, dans une humble cuisine, auprès de sa mère infirme, est une fillette mûre avant l’âge, naïvement pensive, qui sent déjà le poids de la vie domestique peser sur ses petites épaules. C’est