Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 99.djvu/921

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

écœuré de tant de fadaises, de tant d’à-peu-près, de tant de charlatanisme. De cette union du sentiment de la vie moderne et de la recherche intense du caractère peuvent et doivent sortir, en grand nombre, des œuvres nouvelles et intéressantes. Au Champ de Mars comme aux Champs-Elysées, il y a déjà, à cet égard, plusieurs tentatives heureuses tant chez les étrangers que chez les Français.

Les étrangers, en effet, ici, sont nombreux et brillans. En tête, voici les Flamands, petits-fils de Rubens, de Téniers et de Leys qui, eux, tiennent toujours pour les beaux coups de brosse, les larges coulées de peinture, solides, brillantes et chaudes. Les Belges n’ont guère donné, jusqu’à présent, dans la brume malsaine et les alanguissemens stériles. M. Alfred Stevens, après sa belle exposition en 1889, ne nous révèle rien d’inattendu dans sa manière mondaine, si brillante et si souple. Les Iris, l’Ophélie, la Lady Macbeth, sont des variantes fort agréables de figures qu’il nous avait déjà montrées. C’est une joie surtout de revoir ces peintures plus anciennes, une Musicienne, la Jeune Veuve, qui ont subi, sans en souffrir, l’action du temps. Si ces toiles ont dû leur premier succès auprès du public, à l’esprit et à la vivacité avec lesquels l’artiste y rendait les allures et les physionomies de la femme moderne, le froufrou des toilettes, le luxe des intérieurs, elles devront leur réputation durable, auprès des amateurs, à leurs qualités intrinsèques, justesse du dessin et solidité de la couleur. Les Belges, nous l’avons vu, l’année dernière, poussent volontiers à l’extrême ce goût excellent pour la fermeté de la peinture. Aujourd’hui, c’est M. Brunin, d’Anvers, un archaïsant comme Brackeeler et Leys, qui nous introduit chez le Distillateur, chez le Marchand de tableaux, chez un Antiquaire, pour avoir un prétexte de peindre, autour d’un visage attentif et vivement éclairé, une multitude d’ustensiles et d’objets dont il faudra rendre avec exactitude, dans leur extrême variété, la matière, la forme, l’éclairage. Un travail acharné de ce genre ne va guère sans quelque âpreté. La peinture de M. Brunin est dure et systématiquement tenue dans la tonalité rousse des vieilles toiles émaillées par la couverte des vernis ; c’est du dilettantisme, mais un dilettantisme savant et sain qui peut apprendre leur métier à ceux qui l’ignorent. Dans l’Antiquaire, le plus soigné et le mieux réussi, la figure du bonhomme assis au milieu de son bric-à-brac, examinant avec attention un fermoir en argent est même très moderne et très vivante, par l’observation, sinon par l’exécution. La fermeté de la brosse est moins opiniâtre et moins égale, mais plus libre, plus personnelle, plus neuve chez M. Léon Frédéric, un réaliste populaire à la façon de Bastien Lepage, qui apporte, dans l’analyse des types vulgaires, une pénétration et une naïveté