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même recherche. Qu’il persiste dans ces études et dans cet effort, et M. Lerolle est un homme sauvé.


II

S’il est deux artistes qui se ressemblent peu, ce sont bien MM. Meissonier et Puvis de Chavannes. On ne saurait trouver deux antithèses plus frappantes. En les prenant, l’un pour son président, l’autre pour son vice-président, la nouvelle société a fait montre de la plus louable impartialité ; elle a témoigné qu’elle comptait s’ouvrir aux talens de toute sorte, de quelque endroit qu’ils viennent. Toutefois, on a toujours raison de ne point mettre, dans la même salle, leurs toiles face à face, car le spectateur étonné pourrait avoir quelque peine à se remettre d’une si brusque transition entre l’idéal et le réel, la rêverie et la volonté, la tendresse et l’énergie, l’incertitude et la décision, l’aspiration et la science, l’infini et le positif. Tous deux trouvent la poésie ; mais l’un, en cherchant de tout près, dans l’extrême exactitude des êtres et des choses ; l’autre, en regardant de loin, dans leurs plus simples apparences. Il ne faut donc point les comparer, sous peine de s’exposer à être injuste pour l’un et pour l’autre, et peut-être pour les deux. Est-il permis de douter, cependant, qu’au point de vue scolaire l’exemple de M. Meissonier ne soit plus utile que celui de M. Puvis de Chavannes ? Aucun art peut-il vivre en dehors du métier ? Aucune littérature peut-elle vivre en dehors de la grammaire ?

Chez M. Meissonier le métier est surprenant. Malgré son âge, son œil possède une acuité d’analyse sans pareille, sa main une sûreté et une fermeté qui vont, au besoin, jusqu’à l’âpreté et à la rudesse. On a vu de lui des compositions plus dramatiques, plus mouvementées, plus puissantes que le 1806 ; on n’en a pas vu où la conscience de l’artiste se marque avec plus de soin d’un bout à l’autre. Il y a cependant dans cette peinture, sur les premiers plans, quelques parties qui semblent inachevées ; on sait ce qu’est l’inachevé de M. Meissonier, ce serait le léché pour tous les autres ! Mais comme toutes ces figurines sont bien à leur place et à leur affaire dans cette mêlée ! Que de clarté dans l’agitation ! Que de grandeur dans la petitesse ! Sur un tertre, à droite, Napoléon, en redingote grise, sur un cheval blanc (le cheval est une merveille de solidité, de vivacité, d’allure, et comme il est bien dans l’air ! ), regarde la bataille qui est engagée à gauche, sur d’autres hauteurs. A ses pieds, dans la vallée, lancé sur l’ennemi, galope un régiment de cuirassiers, qu’on voit de dos. Autour de l’empereur, des généraux et des aides-de-camp, affairés, attentifs ou indifférens,