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lesquels elle est faite. Il place donc, dans un ensemble habilement ordonné, avec la clarté et l’agrément qui lui sont propres, sur trois plans successifs, plusieurs groupes qui rappellent ou doivent rappeler la double gloire de la race normande, celle de vivre au milieu d’une belle nature, celle d’avoir joué un grand rôle dans les arts. Sur le premier plan, une jeune femme présente une fleur à une autre jeune femme qui la peint sur une plaque de faïence, tandis qu’un jeune garçon porte sur sa tête un plateau chargé d’autres pièces de céramique. L’adolescent est nu, les femmes, élégantes et douces, sont drapées à l’antique ; c’est un groupe charmant, mais qui pourrait également personnifier la céramique grecque, la céramique italienne, la céramique hollandaise si la forme et le décor des vases suffisent à caractériser toute une époque. Derrière, s’avance, lente et rêveuse, une femme plus mûre, un livre à la main. C’est la poésie sans doute. Est-ce bien la poésie normande, cette poésie virile et sonore, belliqueuse et éloquente, qui retentit d’abord dans les laisses de la Chanson de Roland et plus tard dans les tirades du Cid et de Polyeucte ? Au milieu de la composition, sous des pommiers rectifiés et ennoblis, prêts à se changer en lauriers, une jeune mère, soulevant un enfant qui tend la main, abaisse vers lui une branche chargée de fruits. Sur la droite, un dessinateur, en costume moderne de campagne, adossé à un arbre, explique ce qu’il va faire à deux élèves en blouse, debout à ses côtés. Un autre artiste est assis sur le gazon, et rêve. M. Puvis de Chavannes fait là sans doute une légitime allusion au paysage moderne qui, en effet, est presque né et qui vit en Normandie. On peut regretter qu’il n’ait pas songé aussi à la peinture d’histoire qui doit à la Normandie ces deux illustres génies, Poussin et Géricault. Dans le fond, à gauche, deux ouvriers nus fouillent le terrain pour en extraire des antiquités ; sur la droite, une femme assise, tenant sur ses genoux un enfant malade, semble en consulter une autre qui se tient devant elle. Est-ce une allusion à la médecine ? A l’horizon, enfin, par-delà d’autres fragmens de ruines romaines et romanes, se développe le panorama de Rouen, panorama simplifié et dégagé de ses particularités saillantes, comme tout le reste. Le mélange des vêtemens anciens et des vêtemens modernes, des types d’autrefois et des types modernes, des monumens de différens styles et de différentes époques, n’a rien, cela va sans dire, qui nous puisse choquer. C’est le droit absolu de l’artiste dans une composition de ce genre, synthétique et allégorique, de grouper, au gré de son imagination, des êtres et des choses qui ne se rencontrent point dans la réalité ; mais ce que nous avons le droit de lui demander, c’est que ces êtres et ces