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par l’imagination contemporaine ; c’est ce qui s’est passé au XIIIe siècle, en France, pour les sculpteurs ; au XIVe et au XVIe siècle, en Italie, pour les peintres, une première fois après Giotto, une seconde fois après Raphaël, Titien et Corrège ; la décadence, alors, n’a pas tardé à suivre et n’a jamais été enrayée ensuite que par un retour, plus ou moins violent, au respect de la réalité. Or, le dilettantisme de M. Puvis de Chavannes consiste précisément à substituer une interprétation, toujours atténuée et simplifiée, des formes réelles à leur représentation rigoureuse et exacte, en même temps qu’à atténuer, en vue d’une harmonie douce et tendre, mais vague et en sourdine, tous les accens nets et particuliers des types, des costumes, des accessoires. L’effort qu’il tente, avec une conviction et une persistance admirables, se produit donc absolument en sens inverse de l’effort qu’on a vu faire aux Flamands et aux Italiens du XVe siècle, aux Hollandais du XVIIe, aux Français du XIXe. Si M. Galland retourne à Andréa del Sarto et à Jean Goujon, avec le désir de les approprier à notre temps, M. Puvis de Chavannes retourne à Giotto et à Fra Angelico, dont il a retrouvé plus d’une fois la merveilleuse unité expressive, sans vouloir ou sans pouvoir joindre à cette unité expressive les résultats acquis par tous les siècles postérieurs ; en sorte que nous assistons à ce spectacle étrange : chez les fresquistes du XIVe et du XVe siècle, nous voyons des génies encore emprisonnés, mais s’efforçant toujours, avec une ardeur et une naïveté touchantes, de se délivrer et de se fortifier, par un contact de plus en plus direct avec la réalité ; chez le décorateur du XIXe, leur successeur, nous voyons, au contraire, un homme libre et muni de bonnes armes qui s’efforce de perdre cette liberté et de laisser rouiller ces armes en détournant ses yeux de tout ce qui, dans la nature, lui paraît avoir un contour trop âpre, une couleur trop éclatante, un caractère trop déterminé pour troubler la douceur confuse de son grand rêve. Le contraste est assez curieux, avouons-le. Lorsque le système est représenté par des œuvres aussi majestueuses que les décorations du musée d’Amiens, du Panthéon, de la Sorbonne, on peut se faire illusion sur sa valeur en présence des résultats obtenus par l’imagination puissante et séduisante de l’illustre artiste. Peut-être est-il temps de se demander ce que deviendrait le système entre les mains moins habiles des élèves et des imitateurs.

M. Puvis de Chavannes est chargé, par exemple, de décorer un panneau pour le Musée de Rouen. Bien qu’il donne à sa composition un titre vague et général : Inter artes et naturam, il y manifeste, plus qu’il n’avait fait ailleurs, en des circonstances semblables, l’intention de représenter le pays et les gens pour