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accusatrices de Brühl, les récits railleurs de Puisieulx, les perfides insinuations de Chavigny, le tout colporté et commenté par Mme de Pompadour (qui se trouvait heureuse de complaire à la fois à Maurice de Saxe et à Conti), un mémoire était remis au roi en mains propres par le maréchal de Noailles. Singulière composition oratoire où étaient relevés, sur le ton tour à tour du réquisitoire et de la satire, les moindres torts ministériels de d’Argenson, avec tous ses défauts et même ses légers ridicules.

Le début est solennel : « Sire, il est des conjonctures où tout doit céder à l’obligation de parler au maître : tous vos sujets vous doivent la vérité, à plus forte raison ceux que leur charge, leur emploi et le serment qu’ils vous ont prêté attachent plus étroitement à votre personne. » — Suivait la peinture la plus noire de la situation politique, mais tout le mal n’était, suivant l’auteur du mémoire, que la conséquence et la suite des fautes d’un seul homme. Après la mort de Charles VII, on pouvait se réconcilier avec Marie-Thérèse en lui faisant acheter la reconnaissance de la dignité impériale de son époux : un seul homme s’était opposé à cette issue honorable de tant d’efforts, par suite « d’un faux système né de sentimens étranges et d’antipathie sans raison. » C’était encore lui qui avait tout perdu en Italie par une négociation cachée qui avait offensé l’Espagne et inspiré au roi de Sardaigne une confiance dont l’honneur français avait été victime. Ici intervient naturellement le fameux billet adressé à Maillebois, cause unique de l’humiliation subie à Asti par nos armes : « C’est plus qu’une simple imprudence, s’écrie l’auteur du mémoire, je n’ose caractériser la conduite du nom qu’elle mériterait. » Pour réparer cette faute capitale, on s’est jeté sans réserve dans les bras des Hollandais sans se demander s’ils n’étaient pas dans la dépendance servile de l’Angleterre. « Tout le monde commet des fautes, c’est la condition de l’humanité ; quand ceux qui les commettent les sentent et les reconnaissent, elles peuvent devenir utiles pour se corriger et se réformer : mais il n’est pas possible de les multiplier et de les accumuler à un certain degré, à moins qu’elles ne proviennent du fond de caractère, alors le mal est sans remède. »

C’est ici que le ton s’élève et que s’exhale tout le fiel d’une haine longtemps concentrée. Ignorance, présomption, indiscrétion, grossier oubli de toutes les convenances, il semble que tous les vices se soient donné rendez-vous dans une seule âme. À de justes critiques sont joints des reproches qui sont le contraire de la vérité et même de la vraisemblance. Ce ministre qui lisait tout, annotait tout, et dont l’écriture remplit des volumes de nos archives, qui vivait à la cour dans une solitude qu’on trouvait renfrognée et