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dans des fiefs arrachés aux seigneurs calabrais, apuliens, siciliens, et qu’ils pressurent sous une écrasante fiscalité ; tels le violent Thomas de Coucy, et ce Guillaume de l’Estendart, le plus féroce des capitaines de Charles d’Anjou, qui, lorsqu’il prit la ville d’Augusta entre Catane et Syracuse, n’y laissa debout ni une pierre, ni un homme. Maintenant la haine est montée autour d’eux, la terre leur échappe ; ils entendent encore, ces évadés des Vêpres, le tocsin de Palerme, — et devant eux Robin et Marion passent en dansant :


Robin m’aime, Robin m’a,
Robin m’a demandée, si m’ara…


Étranges spectateurs en vérité ! Au premier rang, le vieux roi Charles d’Anjou, assombri par l’écroulement de ses rêves dignes de Pyrrhus et de Picrocole ; c’est Constantinople, c’est Tunis perdus ; ce sont les galères vénitiennes, les galères alliées, qui fuient à toutes voiles par le détroit de Messine, tandis que lui-même, debout sur le rivage d’Italie, voit approcher, impuissant, la flotte aragonnaise, pavoisée et triomphante ; aujourd’hui il faut défendre pied à pied le sol contre don Pedro ; et pendant que, sur son ordre, dans Naples même, les potences s’élèvent sans nombre pour les gibelins rebelles, Marion chante doucement :


Robin m’achata cotele
D’escarlate bone et bele,
Robin m’aime, Robin m’a…


Et qui encore parmi ces spectateurs ? Robert d’Artois et le comte d’Alençon, celui qui a conduit à Naples les nouveaux croisés, les brillans vengeurs des Vêpres : six mois plus tard il tombera dans sa tente, lui, le frère du roi de France, sous le couteau de l’un des brigands almogavares de Jean de Procida :


Robin m’aime, Robin m’a ! ..


Voici encore, à ce spectacle, le fils de Charles d’Anjou, le prince de Salerne, héritier présomptif de ce trône chancelant ; bientôt, fait prisonnier, les états de Sicile le condamneront à mort en représailles du meurtre du petit Conradin ; et déjà, tandis que dansent nos pastoureaux, blanchissent, à l’horizon de la rade de Naples, les voiles de son vainqueur, l’amiral Roger de Loria :