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De si loing com li bergiers me vit,
S’escria mult haut et si me dist :
« Alés vostre voie, por Jhesu Crist !
Ne nos tolés pas nostre déduit !
J’ai mult plus de joie et de délit
Que li rois de France n’en a, ce cuit.
S’il a sa richece, je la lui cuit,
Et s’ai m’amiete et jor et nuit,
Ne ja ne departiron.
Dansés, bele Marion ! »


« J’aime mieux ma mie, ô gué ! » dit la chanson d’Alceste.)

Ce sont ces bergers qu’Adam de la Halle anima de la vie dramatique. Louis XIV, qui reléguait loin de ses yeux les magots de Téniers, voyait avec plaisir, dans les Amans magnifiques, danser Tircis, berger, et Caliste, bergère. De même les nobles spectateurs d’Adam de la Halle, peu tendres aux vilains, se l’ont volontiers les chevaliers servans de Marion. Adam de la Halle lut à la fois le poète et le compositeur, le Quinault et le Lulli de notre premier opéra-comique, et la cour angevine, la cour hautaine de Naples dut y prendre un plaisir extrême.

Marion est assise dans la prairie, et garde ses moutons, et chante :

Robin m’aime, Robin m’a,
Robin m’a demandée, si m’ara…

Un chevalier sur son cheval de chasse, le faucon sur le poing, passe par là, chantant aussi :

Je me repairoie du tournoiement,
Si trouvai Marote seulete, au cors gent.

Le chanteur conte fleurette à la chanteuse, et la chanteuse raille le chanteur. Elle feint de ne rien entendre à ses questions, par malice plus que par naïveté, et se fait tout ingénue. — « Or, dites, douce bergerette, aimeriez-vous un chevalier ? — Beau sire, retirez-vous, je ne sais ce que sont les chevaliers. Robin m’a donné cette panetière, cette houlette et ce couteau. Je n’aimerai personne que lui, puisqu’il m’aime. — Nenni, bergère ? — Nenni, par ma loi ! « Il insiste : n’est-il pas un chevalier ? Elle lui répond par des chansons, où revient l’éloge de Robin, si bien qu’il quitte la place, las de ces galeries, et les ritournelles ironiques de Marion le poursuivent : « Trairi, deluriau, deluriau, deluriele ! » — Voici Robin, qui apporte des pommes à Marion. Elle