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décrira Fontenelle dans son Discours sur l’Églogue. Il est de l’essence même de la pastorale de se développer dans les sociétés les plus étrangères à la vie paysanne, parmi les gens du bel air. Les barons poètes du XIIIe siècle satisfaisaient, et au-delà, à cette condition. Dans le cadre d’une matinée de printemps, parmi les chants des mauviettes et des rossignols cachés dans les aubépines fleurissantes, dans le paysage mièvre et délicat mille fois reproduit par la littérature du moyen âge[1], ils se sont plu à placer les amours rapides d’un chevalier et d’une bergère, à décrire les jeux, les danses, les querelles des paysans ; à les évoquer en troupes de « feuillée et de mai chargées. » Ils ont imaginé tout un petit monde champêtre, tout un cycle gracieux que domine sous ses noms multiples Marie, Marion, Marote, Marionnette, Marguet. Ils s’y sont montrés artificiels à souhait, faux autant qu’on peut le désirer. Ils ont su diversifier un thème unique : à lire la collection des pastourelles du XIIIe siècle conservées par centaines, par milliers chantées, on reste partagé entre l’impression de la monotonie et de la fadeur inhérentes au genre, et l’étonnement de la variété singulière que nos poètes ont introduite dans le détail de leurs petites scènes.

Mais pourquoi définir longuement ce genre ? Écoutons plutôt quelques vers d’une pastourelle de maître Richard de Semilli, choisie à cause de sa brièveté :

L’autrier chevauchoie delès Paris.
Trovai pastorele gardant berbis.
Descendi a terre, les li m’assis,
Et ses amorctes je li requis.
El me dist : « Biaus sire, par saint Denis,
J’aim plus biau de vos et mult meus apris…
Deus, je suis jonete
Et sadete,
Et s’aim tes
Qui joenne est et sades et sages assez. »
Robin l’atendoit en un valet ;
Par ennui s’asist lés un buissonet,
Qu’il s’estoit levés trop matinet
Por cueillir la rose et le muguet…
Qui lors les vëist joie démener,
Robin debruisier et Marot baler !
Lés un buissonet s’alerent joer.
  1. Ce paysage de renouveau est la seule expression du sentiment de la nature dans nos vieux poèmes ; on y trouverait malaisément une seule description de l’automne ou de l’été.