Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 99.djvu/891

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

au pays charmant, cher à Molière, « des musiciens qui dansent en chantant des chansons. » Vingt ans écoulés séparent ces deux pièces. Il ne convient pas de suivre ici le poète dans sa vie pendant ces vingt années : quelques mots suffiront. On eût aimé savoir qu’il put aller étudier aux écoles de ce « Paris sans pair » qui l’attiraient, qu’il vécut plus ou moins la vie bohémienne des clercs goliards, qu’il entendit, à quelque carrefour de la Montagne-Sainte-Geneviève, les vers populaciers et puissans de Rutebeuf. Mais il est presque certain que la prédiction de la fée méchante s’accomplit, et qu’il ne reprit jamais sa robe de clerc. Très peu de temps après la représentation de son Jeu, vers 1263, à la suite de discordes civiles dont nous savons fort peu de chose, il dut quitter Arras, et, à ce que nous apprend Baude Fastoul, se réfugier à Douai. Mais le « doux pays d’Artois » le reprit vite, et c’est pourlePuy qu’il composa ses nombreuses chansons, ses jeux partis, ses motets. Voici qu’il passe ensuite de son monde bourgeois à une noble cour féodale. Il devient l’homme d’une aristocratie spéciale. Un prologue médiocre, adjoint par un poète anonyme à son Jeu de Robin, nous apprend qu’il suivit à Naples le comte Robert II d’Artois, neveu de saint Louis, envoyé au lendemain des Vêpres siciliennes à la rescousse de Charles d’Anjou, roi de Pouille et de Sicile. A quelle époque remonte ce patronage du comte Robert ? Peut-être aux grandes fêtes qu’il donna dans Arras, en 1271, au retour du sacre de son cousin, Philippe le Hardi, devant qui il avait porté l’épée royale. Adam vécut désormais et jusqu’à sa mort dans sa familiarité :


Chius mestre Adam savoit dis et chans controuver,
Et li quens desiroit un tel homme a trouver.
Quant acointiés en fut, si li ala rouver
Que il fëist un dit pour son sens esprouver.
Mestre Adam, qui en sut très bien a chief venir,
En fist un dont on doit moult très bien souvenir…


Ce dit, « dont on doit moult très bien souvenir, » c’est le Jeu de Robin et de Marion. C’est une paysannerie. C’est la mise en scène des amours de deux petits bergers, un instant traversées par les entreprises indiscrètes d’un chevalier. Ce thème, diversifié à l’infini, avait été élevé à la hauteur d’un genre littéraire : la pastourelle. Mais il restait asservi à la forme lyrique : Adam le porta à la scène. Quels que soient les élémens primordiaux du genre, qu’il ait ou non pris ses racines dans les chansons populaires, peu importe ici : tel que nous le trouvons constitué, au temps d’Adam de la Halle, c’est le genre aristocratique par excellence. Ces tableaux