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chemin, — il n’en persista pas moins à faire envoyer au marquis des Issarts l’ordre formel de s’abstenir de tout ce qui pourrait donner le moindre ombrage au roi Auguste. Des Issarts se le tint pour dit, et quand il dut suivre Auguste en Pologne, il s’y comporta de manière à ne donner à la cour de Saxe aucun sujet de plainte. Mais Conti comprit d’où était venu l’obstacle qui l’obligeait d’ajourner indéfiniment ses espérances et entra avec passion dans le dessein de s’en venger. Les influences diverses se trouvèrent toutes ainsi réunies dans le même sens et avec la même ardeur, et le roi n’entendit plus retentir à ses oreilles que le son de la même cloche[1].

Il hésitait pourtant encore, rien ne lui étant plus pénible, disent ceux qui l’ont observé de près, que de se séparer d’un de ses ministres. Quand il lui fallait se résoudre à une exécution de ce genre, on s’en apercevait à la pâleur de son visage, à une agitation nerveuse qui trahissait son malaise intérieur. En général, à mesure qu’il avançait en âge, loin que l’habitude du pouvoir lui donnât la confiance de l’exercer, tout acte d’initiative et de responsabilité à prendre semblait lui coûter davantage. On sentit qu’il ne fallait pas moins pour le décider que de lui permettre de se mettre à couvert derrière l’autorité d’un de ses conseillers plus considérable que tous les autres par l’âge, la réputation et les grands souvenirs qui se rattachaient à son nom. En même temps qu’arrivaient les dépêches

  1. Journal et mémoires de d’Argenson, t. V. p. 48-52. — Notes de d’Argenson sur la mission de Blandowski, octobre 1746. (Correspondance de Pologne. — Ministère des affaires étrangères.) — Cette prétention du prince de Conti au trône de Pologne, approuvée par Louis XV à l’insu de ses ministres, a été, on pout se le rappeler, l’origine de cette diplomatie secrète dont j’ai eu l’occasion de faire l’exposé complet dans le Secret du roi. J’ai donc dû mentionner au début même de cet ouvrage le trait de d’Argenson que je rapporte ici ; seulement, je porte aujourd’hui sur la conduite de ce ministre un jugement un peu différent. L’étude plus approfondie de la situation m’amène à approuver ce que j’avais autrefois qualifié plus sévèrement. Rien n’eût été, en effet (d’Argenson a raison de le dire dans ses mémoires), plus déraisonnable que de mettre en question une alliance très utile et tout récemment conclue avec la maison de Saxe pour un projet en l’air d’une exécution à peu près impossible. Je laisse également indécise la question que j’avais tranchée négativement, de savoir si le nouvel ambassadeur à Dresde, le marquis des Issarts, fut initié au secret d’une négociation clandestine. Il est certain que Conti, en faisant nommer un de ses protégés à l’ambassade de Dresde, avait le dessein de frayer la voie à son élection. Mais rien n’atteste que le roi, qui peut-être le laissait faire par complaisance, l’ait dès lors autorisé à entretenir avec cet agent officiel une correspondance régulière dont il se fût fait rendre compte lui-même, comme ce fut plus tard le cas avec le comte de Broglie. Rien dans la correspondance de ce dernier ne fait supposer qu’il ait été devancé dans cette mission occulte par son prédécesseur, et il ne reste aucune trace au ministère d’une correspondance secrète de des Issarts avec Conti. Je persiste à croire que la diplomatie secrète ne prit un caractère régulier et une consistance véritable qu’après la paix d’Aix-la-Chapelle, et, par suite, probablement, du mécontentement que la fin peu satisfaisante d’une longue guerre avait dû laisser dans l’esprit de Louis XV contre tous ses ministres.