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rapprocher du prince de Conti, et effectivement peut-être pour lui complaire, il avait, sur sa recommandation, nommé à l’ambassade de Saxe (vacante depuis le rappel de Vaulgrenant), un protégé de la famille du prince, le marquis des Issarts, bien que, originaire du Comtat Venaissin, ce seigneur ne lût Français que par adoption. Mais la nomination une fois faite et des Issarts déjà parti, le hasard lui fit savoir que l’intérêt que le prince portait à son protégé n’était pas dicté uniquement par l’amitié ou la bienveillance. Des seigneurs polonais appartenant à ce qu’on nommait dans cette contrée turbulente le parti national (c’est-à-dire celui qui avait été opposé à Auguste III et qui avait succombé avec Stanislas), venus en visite à Versailles pour rendre leurs devoirs à la reine, avaient rappelé à Conti qu’un prince, son aïeul, avait été appelé autrefois au trône électif de Pologne et lui avaient fait entendre qu’advenant la mort probablement prochaine d’Auguste III, le même choix pourrait se porter sur lui, pourvu que, s’y prêtant lui-même, il eût l’art d’y préparer les esprits. Il n’en avait pas fallu davantage pour que l’esprit remuant et mobile du prince eût pris feu sur cette espérance, et l’ambassadeur de France à Dresde ayant à suivre souvent le roi Auguste sur le théâtre agité des diètes de Pologne, le choix d’un homme à sa dévotion, pour un poste de cette importance, était évidemment à ses yeux un jalon posé d’avance sur la voie qui devait le conduire au trône.

Ce fut une indiscrétion du confident polonais du prince de Conti qui ouvrit les yeux à d’Argenson sur un dessein que rien n’avait pu lui faire supposer. Il y vit tout de suite et avec raison (ce que c’était en effet) une chimère dont la réalisation, fut-elle possible, serait d’un avantage douteux, mais dont la révélation, arrivant aux oreilles d’Auguste III, était de nature à compromettre gravement les bonnes relations si récemment rétablies avec la maison de Saxe. Auguste avait sûrement le désir de léguer à son fils la succession qu’il avait lui-même tenue de son père et de perpétuer dans sa famille l’union de la couronne héréditaire de Saxe et de la couronne élective de Pologne. Rien n’eût été plus inconséquent et plus absurde que de le blesser dans ses affections paternelles, le jour même où on recherchait l’alliance de sa fille. D’Argenson prit donc très raisonnablement le parti de couper court absolument à une tentative aussi inopportune. On eût beau lui faire entendre que la reine et peut-être le roi lui-même ne décourageaient pas les vues du prince de Conti et lui permettaient de les suivre, — le comte son frère, qu’il consulta et qui avait l’œil plus ouvert que lui sur les menées secrètes dont le roi avait de jour en jour davantage le goût et l’habitude, l’engagea vainement à procéder avec ménagement, de peur de rencontrer quelque fantaisie royale sur son