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Le désistement du prince Léopold lut annoncé par son père au général Prim, au moyen d’une dépêche télégraphique transmise en clair par Paris, et conçue de façon à irriter le cabinet français, avant que le roi en fit part à l’ambassadeur. On établissait ainsi, pour les esprits peu clairvoyans, que la concession était faite spontanément par le candidat à la couronne d’Espagne, sans la participation du roi, qui, de son côté, n’en accordait aucune à la France. Nul n’ignorait cependant que les princes de Hohenzollern ne pouvaient prendre une détermination d’une aussi grave importance, d’un si grand intérêt en ce moment, sans l’agrément du chef de leur famille, et l’expédient ne pouvait tromper personne. Mais on savait qu’à Paris l’exaspération était extrême et générale ; on espérait qu’elle égarerait aussi bien le gouvernement que la population. Ces calculs étaient-ils entrés dans les prévisions du roi ? Tout porte à le croire ; ce qui malheureusement n’est que trop certain, c’est que la renonciation du prince Léopold, rendue publique avant d’avoir été notifiée au cabinet français, ne fut pas considérée par lui comme une satisfaction suffisante. Il crut nécessaire, le passé étant liquidé, de stipuler des assurances pour l’avenir. Il fit demander au roi de promettre qu’il n’autoriserait, dans aucune autre circonstance, un prince de sa maison à se porter candidat au trône d’Espagne. Le ministre des affaires étrangères jugea, en outre, opportun et convenable d’inviter le roi à adresser à l’empereur une lettre, destinée à la publicité, dans laquelle il répudierait toute pensée malveillante. Il en exprima le vœu à l’ambassadeur de Prusse à Paris, qui se trouva dans l’obligation de le transmettre à Ems[1].

La retraite du prince Léopold était cependant accueillie par les cabinets et la presse étrangère comme la garantie du maintien de la paix : on la croyait désormais assurée. Sans s’arrêter aux questions de forme, on tenait compte au vainqueur de Sadowa du gage qu’il en donnait, dans des circonstances difficiles pour sa considération personnelle. Le nouveau débat soulevé par le cabinet de Paris fut au contraire envisagé comme un obstacle nouveau, et regrettable, au rétablissement des bonnes relations de la France avec la Prusse. Le roi comprit que la situation était renversée : il rompit les négociations, convaincu qu’il pouvait désormais accuser le gouvernement impérial de vouloir obstinément la guerre ; il autorisa M. de Bismarck à user de tous les moyens pour la rendre inévitable à courte échéance. Ceci se passait le 13 juillet dans la matinée ; le 14, il partait pour Berlin, où il allait présider lui-même à la mobilisation de l’armée.

  1. Voir le rapport du baron de Werther, en date du 12 juillet.