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sont libres de faire ce qu’ils voudront. Mon collègue à Paris, ajoutait-il, a reçu l’ordre de se tenir à l’écart et de ne pas accepter de discussion à ce sujet… Au surplus, disait-il encore, il est prématuré de discuter cette question avant que les cortès aient ratifié le choix du prince Léopold[1]. » On avait frappé le coup, et retiré la main qui l’avait porté. Le roi et son ministre étaient également innocens, purs de toute pensée insidieuse. Cette position prise, on attendait la réunion des cortès ; on pensait qu’elles éliraient le prince Léopold par acclamation. On comptait sur la fierté espagnole pour mettre le gouvernement français en présence de nouvelles difficultés qui l’entraîneraient, espérait-on, aux résolutions extrêmes. C’est dans cette prévision que le roi donna son assentiment à la candidature de son neveu. Mis dans l’impossibilité de s’expliquer avec le cabinet de Berlin, celui de Paris, auquel on avait fermé toute autre voie, donna l’ordre à son ambassadeur de se rendre à Ems, de porter l’affaire devant le roi lui-même et de lui soumettre les considérations qui lui faisaient un devoir de s’opposer à l’avènement d’un prince allemand au trône de Charles-Quint.

A dater de ce moment, nous voyons le roi, et M. de Bismarck après lui, durant les quelques jours qui ont précédé la guerre, affirmer chacun, plus nettement et avec un relief plus saisissant, leurs qualités respectives et leur personnalité. L’occasion est solennelle, et nous devons d’autant plus nous y arrêter qu’elle permet de bien apprécier le rôle du souverain et celui du ministre.

Que se proposait-on en soulevant la question espagnole ? Ce n’était certes pas d’introniser un Hohenzollern à Madrid. « La souveraineté offerte au prince Léopold, disait M. de Bismarck à l’ambassadeur dès le 11 mai 1869, quand celui-ci l’interpella, ne saurait avoir qu’une durée éphémère et l’exposerait à plus de dangers personnels encore que de mécomptes. » On avait donc un autre but, celui de faire surgir un dissentiment avec la France. Tel était d’ailleurs le sentiment général en Europe. Les puissances et l’opinion publique ne virent pas les choses autrement. Aussi, dès que la candidature du prince Léopold devint un fait avoué et imminent, les cabinets, les souverains eux-mêmes s’interposèrent, sans dissimuler leur surprise et leurs craintes. La reine d’Angleterre, et plus activement l’empereur de Russie, firent parvenir à Ems des paroles de conciliation, conseillant une attitude modérée, suggérant au roi de se prêter à un accommodement[2]. La presse

  1. Voir le Blue-book de 1870, p. 13.
  2. Voir notamment une dépêche de lord Lyons au comte de Granville du 13 juillet, — (Documens anglais, 1870.)