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formation, que celles de ses alliés allemands, n’avaient pas encore la cohésion et la solidité nécessaires. Il avait, d’autre part, une raison morale pour ne pas se hâter, toujours la même, toujours présente à son esprit : il tenait compte, comme d’un facteur primordial, des dispositions des grandes puissances, de l’état de l’opinion en Europe. Comme en 1866, il voulait attendre des circonstances, des fautes ou des égaremens de ses adversaires, l’occasion propice de répudier lui-même tout projet d’agression et de leur en attribuer l’initiative. Il n’ignorait pas que ses déclarations pacifiques n’abusaient plus ni les gouvernemens ni le sentiment public, que depuis Sadowa il était l’objet d’une suspicion légitime et générale : il n’était, en effet, plus douteux pour personne que son ambition visait la couronne impériale, et il ne se dissimulait pas lui-même qu’il ne pouvait la tenir que d’une nouvelle victoire et de la défaite de la France. « Plus j’observe la conduite du gouvernement prussien, écrivait notre ambassadeur dès le 5 janvier 1868, plus je me persuade que tous ses efforts tendent à asseoir sa puissance sur l’Allemagne entière, et il m’est chaque jour démontré davantage qu’il poursuit ce succès avec la conviction qu’il ne peut l’atteindre sans placer la France dans l’impossibilité d’y mettre obstacle… » Et après avoir envisagé la situation dans son ensemble, il terminait ainsi : « C’est donc une guerre formidable, dans laquelle tout un peuple prendrait parti contre nous, que nous aurions à soutenir. Le gouvernement de l’empereur ne saurait, par conséquent, mettre trop de soin à en peser d’avance toutes les chances, et à mûrement réfléchir avant de prendre la détermination que lui sembleraient exiger l’intérêt et le salut du pays. »

Le gouvernement français, cependant, évitait attentivement de fournir au cabinet de Berlin un sujet quelconque de mécontentement sérieux. Les préliminaires de Nikolsburg avaient été offerts aux belligérans par la France ; elle y avait inséré une disposition stipulant que les populations du Slesvig du nord seraient consultées avant d’être annexées à la Prusse. Après la conclusion de la paix, M. de Bismarck annonça à notre ambassadeur son intention arrêtée de s’y conformer ; mais, en 1867, interpellé à ce sujet, il déclara à la tribune du parlement, dans un langage qu’on aurait pu ressentir à Paris, que les deux puissances signataires du traité de Prague avaient, seules, qualité pour en surveiller l’exécution. Le gouvernement français ne releva pas ce premier défi. Il saisit, au contraire, toutes les occasions qui lui furent offertes pour opérer un loyal et sincère rapprochement avec le cabinet de Berlin. Il lui proposa une entente cordiale et désintéressée, soit sur la question d’Orient, soit sur la question d’Italie, pour les résoudre