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fatigue extrême de cette longue guerre et un désir assez général de ne pas voir commencer, avec l’année nouvelle, une nouvelle série de périls et de luttes.

L’impératrice accueillit donc d’assez bonne grâce le ministre de Saxe, auquel elle ne fit pas même difficulté de conter ses peines. Mais dès qu’il eut commencé à exposer sur quelles bases le cabinet français était disposé à entrer en pourparlers : « Ce sont les projets de MM. d’Argenson, dit-elle tout de suite ; je les connais, et il n’y a pas à y songer. » — Mais ce fut bien autre chose quand on prononça le mot du traité de Dresde et de la garantie nouvelle qu’on lui demandait d’y laisser donner. — « Je ne vois pas, dit-elle vivement, ce que la paix de Dresde peut avoir de commun avec un accommodement avec la France. — Elle s’arrêta alors sur ce dernier point (dit la dépêche saxonne) et me parla de cette garantie de la France qu’on voulait stipuler en faveur du roi de Prusse comme d’une chose de la dernière conséquence, si impossible qu’elle croyait qu’il valait mieux continuer encore deux ans la guerre que de la permettre. Elle m’allégua pour sa principale raison que cette garantie fournirait à tout bout de champ des prétextes spécieux à la France de se mêler dans toutes les bisbilles qui pourraient naître entre Sa Majesté Impériale et la Prusse… Je vis bien que cet article tient entièrement au cœur à Sa Majesté Impériale, et que, si l’on pouvait porter la France à faire abstraction de cette garantie, la négociation deviendrait beaucoup plus aisée. » — Le même langage fut tenu à l’envoyé saxon par les ministres Bartenstein et Uhlfeid, à qui l’impératrice donna l’ordre de s’entretenir avec lui. — « M. le comte d’Uhlield me dit qu’il voyait bien, par la substance des ouvertures que je venais de lui faire, qu’il fallait que le contenu fût en partie du cru de MM. d’Argenson, parce qu’il était conforme à leur façon de penser assez connue. Je lui répondis qu’il se pourrait bien qu’ils y eussent leur part[1]. »

On ne peut être surpris que Brühl, en recevant cette espèce d’acte d’accusation contre le ministre dont il tenait à tout prix à se délivrer, n’eut rien de plus pressé que de l’envoyer à Paris pour le faire passer sous les yeux du roi de France ; c’était bien, vraiment, la mèche à allumer pour faire sauter le pétard. Mais on pouvait être plus surpris que Richelieu, à qui, sans doute, Brühl ne laissa rien ignorer, bien loin de se montrer découragé de continuer

  1. Laos, ministre de Saxe à Vienne (c’est le frère du ministre de la même cour à Paris portant le même nom que lui), au comte de Brühl, 6 janvier 1747. (Archives de Dresde.) — D’Arneth affirme également que Marie-Thérèse était résolue à n’ouvrir l’oreille à aucune proposition d’accommodement, tant que d’Argenson serait au pouvoir (t. III, p. 262).