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chargeant le ministre de Saxe d’entrer, au nom du roi de France, en pourparlers avec Marie-Thérèse. Naturellement, dans ces premiers entretiens, il ne pouvait être question que des communications dont Richelieu était officiellement porteur. « Elles sont bien vagues et bien générales, faisait observer Brühl, et le traité de Dresde, qu’on y veut mêler, peut tout gâter. C’est assez cependant pour commencer la conversation : qu’on nous dise maintenant le dernier mot de la France, et nous nous chargeons de le proposer nous-mêmes. Seulement, il faudrait laisser le roi de Prusse hors du jeu. » Richelieu, quoique sachant parfaitement qu’il apportait le dernier mot, sinon du roi, au moins du ministre, et que, sur le second point en particulier, il allait directement contre les intentions de son ami, ; ne fit nulle difficulté de demander ce complément ou plutôt cette rectification d’instructions. Il s’y serait refusé, d’ailleurs, qu’on se serait passé de lui, car Brühl faisait directement la même démarche par l’intermédiaire du comte de Saxe, à qui il racontait son entretien avec l’ambassadeur extraordinaire, en le priant de tâcher qu’on vît enfin plus clair sur le roi de Prusse et résumant tout par ce mot significatif : « Votre Excellence dit que, pour faire l’accommodement, il faudrait faire sauter un pétard ; qu’elle veuille donc bien le charger elle-même et l’allumer[1]. »

L’accueil fait à Vienne par Marie-Thérèse à l’ouverture du ministre saxon aurait été concerté avec Brühl lui-même que rien n’aurait pu mieux entrer dans ses vues. La démarche trouva l’impératrice assez troublée et plus disposée qu’elle ne l’avait été depuis longtemps à entendre parler d’accommodement. Les dernières victoires de Maurice en Flandre l’avaient vivement émue, et après les échecs réitérés de son beau-frère, le prince de Lorraine, elle ne savait, en vérité, qui opposer à cet invincible adversaire. D’Italie aussi, malgré l’heureuse tournure que ses affaires y avaient dernièrement prise, elle recevait des nouvelles qui l’alarmaient. L’insistance de l’Angleterre l’entraînait, assez malgré elle, dans une agression contre la Provence, tandis qu’elle aurait préféré rester dans la Péninsule avec toutes ses forces pour y conserver et peut-être compléter, par la conquête du royaume de Naples, la grande situation qu’elle y avait reconquise. De plus, le général Braun, croyant lui complaire, avait tellement exagéré à Gênes les rigueurs et l’oppression de la conquête, qu’un mouvement insurrectionnel venait d’éclater dans cette cité toujours turbulente et que la garnison autrichienne, prise à l’improviste, sans forces suffisantes, avait dû évacuer la ville. Enfin, à Vienne, comme partout, régnait une

  1. Brühl à Maurice de Saxe, 27 décembre 1746. (Vitzthum, p. 134, 135.)