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frère, méditant avec lui sur les destinées de la Prusse, si gravement compromises par un souverain et des conseillers également réfractaires aux solides et brillantes traditions de sa famille. A son avènement, il fit maison nette. Il constitua un ministère composé de ces mêmes hommes qui avaient participé, plus ou moins assidûment, aux épanchemens de la petite cour de Coblentz, hommes d’aspirations libérales, et dont la présence au pouvoir ne pouvait manquer d’être favorablement accueillie par la majorité de la chambre des députés de Berlin, imbue des mêmes principes, nous dirons plutôt des mêmes velléités. Ce fut, comme on le qualifiait à son origine, le cabinet de Y ère nouvelle. Mais le roi, prince de droit divin, issu d’une famille qui avait constitué le royaume par la conquête et sans contrôle, entendait retenir dans ses mains la direction suprême, sinon exclusive, des affaires de l’État[1]. Jugeant que, pour relever la Prusse de l’abaissement où elle était tombée sous le dernier règne, il devait, avant tout, augmenter les forces militaires du pays, il déclara, en convoquant les chambres, que son premier devoir lui commandait de reconstituer l’armée, et le nouveau cabinet déposa un projet de loi accordant au gouvernement des crédits nouveaux et considérables. Cette proposition fit éclater un premier dissentiment entre le souverain et la représentation nationale. Les principes et les idées semés par la France en Allemagne avaient germé. Ils avaient fait explosion en 1848 ; ils trouvaient partout des adhérens, surtout en Prusse ; la chambre des députés de Berlin ne dissimulait pas sa prétention d’exiger du pouvoir royal la réforme de la constitution et les garanties d’une participation plus directe et plus efficace au gouvernement du royaume. Enclins aux doctrines parlementaires, les conseillers du roi eux-mêmes estimaient que le moment était venu d’associer plus étroitement cette chambre à l’autorité souveraine. Ces tentatives heurtaient le sentiment dynastique du roi, l’idée qu’il s’était faite de la puissance et des droits inhérens à la couronne ; elles menaçaient l’œuvre qu’il voulait préparer et dont le succès ne pouvait être assuré, croyait-il, que par l’unité de direction et

  1. « S’il nous a été donné, disait récemment, à Brème, Guillaume II, de faire ce qui a été fait, cela vient surtout de ce qu’il y a, dans notre maison, une tradition en vertu de laquelle nous nous considérons comme institués par Dieu pour préserver et diriger, en vue de leur bien, les peuples sur lesquels nous régnons, et pour sauvegarder nos intérêts matériels et moraux. C’est en suivant cette tradition que mon grand-père a accompli les grandes choses qu’il a faites et qu’il a réussi à constituer l’unité de l’empire… » Le jeune empereur exprimait bien la pensée dominante de sa race, et, pas plus que son aïeul, il ne se montre disposé à tolérer qu’on y mette obstacle, qu’on entrave son action personnelle. M. de Bismarck, précisément, vient d’en faire l’expérience.