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le véritable, l’unique fondateur du nouvel empire germanique, le roi Guillaume n’en a-t-il été que le bénéficiaire ? C’est ce que nous voudrions élucider dans la seule pensée de rendre hommage à la vérité historique.

Avant d’aborder cette tâche, il convient de dégager le caractère et les aptitudes du souverain et du ministre ; de rappeler dans quelles conditions se trouvait le royaume à l’avènement du roi Guillaume et quelle idée il en avait ; de rechercher, d’autre part, ce qu’en pensait M. de Bismarck et comment il les jugeait lui-même.

Le prédécesseur du futur empereur, Frédéric-Guillaume IV, ne possédait aucune des qualités de sa race. Mystique, irrésolu, et cependant autoritaire, il dévia constamment de la voie tracée par ses ancêtres. Il n’était jamais l’homme de la veille, et ses ministres épuisaient leurs efforts à redresser ou plutôt à dissimuler ses contradictions. Si la fortune lui souriait, il se dérobait. Mis en présence d’une complication, il n’osait la braver. Deux événemens d’une égale importance suffisent à déterminer le caractère du prince et la physionomie du règne. Il déclina la couronne impériale qui lui fut offerte par le parlement de Francfort, et il subit l’humiliation que l’Autriche lui infligea, à Olmütz, par la main du prince de Schvvarzenberg. Il ne sut prendre parti ni pour la Russie ni pour les puissances occidentales pendant la guerre de Grimée, ne voulant ou n’osant appuyer ou combattre la politique du cabinet de Vienne, qui s’était associé, dans une certaine mesure, à la France et à l’Angleterre. La démocratie et la Sainte-Alliance lui inspiraient une égale défiance et le jetaient dans les mêmes incertitudes. Il était néanmoins jaloux de son autorité et il tenait le prince royal, son frère, soigneusement éloigné des affaires. Celui-ci, pendant bien des années, put méditer sur les égaremens dont il était le témoin muet et impuissant. C’est dans cette longue période, assurément, qu’il conçut et nourrit les projets ambitieux qui devaient illustrer son règne.

Ce prince avait la foi. Il monta sur le trône avec le sentiment profond et inébranlable qu’il était appelé à accomplir de grandes choses : il le fit bien voir, à Kœnigsberg, le jour de son couronnement. Il pensait tenir ses droits souverains de Dieu et n’en devoir compte qu’à lui et à ses ancêtres. Au moment où son frère concédait les premières réformes constitutionnelles, en 1847, il avait fait ses réserves en sa qualité d’héritier du trône : selon lui, les assemblées électives n’auraient jamais à connaître ni du budget ni de la politique extérieure. Ce fut avec ces convictions que, dès le début de son règne, il arrêta son programme, en s’inspirant de la politique traditionnelle de sa maison, si étrangement méconnue par son