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il est haï : ses bureaux ne le secondent pas et il se noie dans les crachats, cela me fait rire quelquefois. Le roi, qui est sage et qui a plus de judiciaire qu’eux tous, le voit et ne sait quel parti prendre : car nous avons de la gloire. Pour moi, qui n’ai pour toute arme que le bouclier de la vérité, l’on me craint, le roi m’aime et le public espère en moi… Je vous assure entre nous que, s’ils ne m’avaient pas, ils ne sauraient où donner de la tête. Hommes, argent, rien ne leur fait défaut, aber sie wissen nicht es einzurichten (mais ils ne savent pas s’y prendre). Outre cela, la troupe et l’état ont confiance en moi, et cela fait beaucoup pour le maintien intérieur de l’état et la tranquillité de la monarchie. Vous voyez bien que je ne vous boude plus, puisque je (vous parle comme cela : direz-vous que je ne vous aime pas ? Voilà, dit-il enfin, un tableau de ce pays ici ; il est impossible que cela dure : je ne veux pas me fourrer dans la mêlée, car mon poste est bon et honorable et je ne le quitterai pas. On commence à soupçonner ici M. d’Argenson de ne pas vouloir sincèrement la paix. C’est un pétard, si on y met le feu, il sautera : car tout le royaume la veut, le roi, la cour et le clergé. Tous sont persuadés que je la désire, mais si ces messieurs font naître des incidens, je ne puis rien[1]. »

Il était impossible de dire plus clairement qu’on ne demandait pas mieux que d’être médiateur de la paix et de se faire, pour y travailler à l’aise, l’exécuteur des d’Argenson, enfin que Richelieu en passerait, sans trop se faire prier, par où on voudrait. Dès lors, le plus simple aurait été d’obtenir du roi la permission d’engager l’affaire directement sans consulter le ministre, puisque, loin qu’on pût compter sur lui pour la faire aboutir, il était convenu qu’il y périrait. Le procédé cependant parut un peu violent à proposer à un ami, et d’ailleurs le comte de Loos, qui avait eu à se louer de d’Argenson dans plus d’une circonstance, voulut, qu’on y mît plus de ménagement. Il fut donc résolu qu’on entretiendrait d’Argenson des offres pacifiques de Brühl, afin d’obtenir au moins son assentiment apparent qui, fût-il donné du bout des lèvres, permettrait de faire officiellement des ouvertures, sauf à les pousser ensuite plus vivement par des voies secrètes.

Ce fut Maurice qui se chargea d’abord de tâter (c’est son expression) le ministre ; mais il fut si mal reçu qu’il vint dire à Loos qu’il n’en avait tiré que des platitudes. Loos s’y prit sans doute avec plus d’art, car il réussit à se faire écouter. D’Argenson, tout en se montrant plein de méfiance et de très mauvaise grâce, consentit cependant à laisser le roi de Pologne sonder le terrain à Vienne,

  1. Maurice de Saxe au comte de Brühl, 10 décembre 1746. (Vitzthum, p. 107, 110.)