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n’avait pu ignorer que sa mission, au moins dans les conditions où ses amis et lui avaient rêvé qu’elle aurait lieu, avait été mal prise à Dresde et qu’on avait tout fait pour la prévenir. De plus, ayant demandé pour quelle raison le maréchal de Saxe n’était pas chargé lui-même d’aller chercher et ramener sa nièce, on lui avait bien répondu que la qualité d’étranger récemment naturalisé rendait le maréchal peu propre à représenter le roi dans une occasion si solennelle ; mais on lui avait en même temps laissé voir que dans la disposition toujours hostile où était l’Allemagne, la personne d’un ambassadeur français n’était pas toujours sûre d’être respectée et qu’on ne voulait pas exposer le commandant de l’armée à quelque aventure comme celle dont Belle-Isle avait été victime. Cette perspective en soi n’avait rien de rassurant. Maurice n’eut pas de peine à se rendre compte des alarmes de Richelieu. « Il m’est venu voir avant-hier, écrivait-il au comte de Brühl, et m’a conté ses peines. Il m’a dit qu’il s’était chargé de cette commission, pensant qu’elle serait agréable, et qu’il voudrait (maintenant) que les hussards le prissent en chemin pour qu’il n’arrivât pas chez vous. Cela pourrait bien arriver, car on n’a pris aucune précaution pour l’empêcher… J’ai fait ce que j’ai pu pour le tranquilliser et le mettre à l’aise. Je lui ai dit qu’il n’y avait rien contre lui personnellement, mais que, comme c’était une ambassade solennelle, on craignait les prétentions de l’ambassadeur… Hélas ! mon Dieu, m’a-t-il répondu, je ne prétends rien, je me suis chargé d’une commission honorable, et que j’ai crue agréable. Je désire de plaire au roi, à M. le comte de Brühl, et à toute la cour, et voilà tout. Je ne suis chargé de rien de plus, et je ne resterai que le temps qu’il faudra pour amener cette princesse tant désirée avec le respect que je dois à Leurs Majestés et au roi mon maître… M. le duc de Richelieu part donc dans l’intention de plaire à la cour et de vous plaire en particulier… Le roi de Prusse avait désiré le voir : il n’a pas voulu y aller pour ne pas sentir le Prussien en vous arrivant… Tout cela ne doit ni vous effaroucher, ni vous déplaire. »

Se mettant tout à fait à l’aise, il laisse voir au comte de Brühl que son parti est pris et qu’il est entré tout à fuit dans ses desseins… « Les d’Argenson branlent au manche, comme on dit ; celui des affaires étrangères est si bête que le roi en est honteux, celui de la guerre veut taire le généralissime et n’y entend rien. Les tracasseries, les intrigues de cour l’appuient uniquement. Il va à la parade partout et ne fait pas sa besogne, qui est immense, moyennant quoi tout va à la diable. Les affaires ne s’expédient pas, il est noyé par les affaires et ne peut plus se mettre au courant…