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faveur où il était parvenu devait faire voir en lui un homme à ménager par quiconque prétendait rester dans les bonnes grâces de Mme de Pompadour et du roi. Richelieu, on pouvait l’espérer, était bien assez fin courtisan pour que le moindre signe suffit à lui faire comprendre de quel côté la faveur allait incliner, et pas assez gouverné par ses sentimens pour rester fidèle à l’amitié dans la disgrâce.

Le premier pas à faire était d’amener Maurice lui-même à des idées pacifiques et à un projet de réconciliation avec la cour de Vienne. On pouvait douter qu’un homme de guerre dont toute l’importance tenait aux victoires qu’on lui devait déjà et à celles qu’on attendait de lui, fût très pressé de hâter lui-même le terme de ses exploits. Puis les armées autrichiennes lui avaient offert de si faciles triomphes qu’il pouvait renoncer difficilement à porter le dernier coup qui devait les écraser. De plus, depuis ses campagnes d’Allemagne, il était resté en termes plus que médiocres avec le comte de Brühl, à qui il attribuait et avait même plusieurs fois reproché l’attitude hostile prise par le roi son frère envers la France.

L’ouverture à faire était donc assez malaisée. Brühl l’aborda pourtant sans hésiter, prenant pour prétexte d’entrer en correspondance les remercîmens qui étaient dus à Maurice comme à l’heureux négociateur du mariage, mais l’entretenant tout de suite par une adroite flatterie de considérations de haute politique, comme si c’était bien son affaire et qu’il en dût être pleinement au courant. — « La réussite de cette grande affaire, lui écrivit-il, le 6 novembre, a été d’autant plus agréable qu’on a fait la chose généreusement, et sans y attacher de conditions relatives à la politique. L’on n’y perdra rien, vu que tout ce que le roi pourra faire pour complaire aux désirs de Sa Majesté très chrétienne, il le fera sans cela, par amitié pour ce monarque et par tendresse pour la princesse, future dauphine… Si, d’ailleurs, par la quantité des différens intérêts, les conférences de Breda ne veulent point avancer, qu’on nous dise le dernier mot, et qu’on nous laisse le soin de ménager la négociation à la cour de Vienne. Les deux cours une fois d’accord, le reste s’ensuivrait infailliblement. Nous nous y prendrions avec tant de précaution, qu’en cas que, contre notre attente, nous ne puissions pas réussir à souhait, nous ne commettrions la France en rien. Il est d’autant plus à souhaiter qu’on en vienne bientôt à des explications qu’il y a sans cela, si l’affaire traîne, à craindre que l’Angleterre, redoublant d’efforts auprès de la Russie, ne trouve moyen d’émouvoir cette grande machine, ce que nous ne serions pas en état d’empêcher, quelque volonté que nous en eussions… Quant au roi de Prusse, il n’aura rien à craindre tant qu’il restera tranquille, mais la France devrait une bonne fois