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listes qui sont disposés à les voter, elles rencontraient moins de faveur parmi les industriels et les libéraux du parlement. Les discussions qui s’ouvriront d’ici à quelque temps sur le programme des réformes ouvrières seront probablement laborieuses. C’est dans tous les cas une œuvre qui ne peut qu’exciter un intérêt universel et éveiller des idées de paix. Malheureusement l’empereur Guillaume II est un souverain pacifique à sa manière, qui croit pouvoir tout concilier, proposant d’un côté des réformes sociales, œuvres de la paix, et demandant d’un autre côté de nouveaux crédits pour la guerre. Après le septennat voté il y a quelques années, on croyait qu’il n’y avait plus rien à faire, que l’armée allemande avait atteint désormais le plus haut degré de puissance. Aujourd’hui le ministre de la guerre de Berlin, pour l’inauguration du nouveau règne, réclame un supplément de force et de crédits, une augmentation des effectifs militaires et surtout de l’artillerie.

La raison éternelle, il est vrai, c’est que l’Allemagne doit être toujours prête à faire face aux événemens, à l’est comme à l’ouest, que la France, pour sa part, augmente incessamment son armée. Ce n’est là évidemment qu’un prétexte spécieux. Quelque dextérité qu’on mette en effet à grouper des chiffres, l’Allemagne, avec ses 538 bataillons, ses 465 escadrons, ses 434 batteries d’artillerie de campagne, a des effectifs de paix supérieurs à ceux de la France, destinés à monter, par le jeu des lois nouvelles, jusqu’à 600,000 hommes. La vérité est que le jeune empereur obéit à ses instincts, qu’il a plus que l’empereur Guillaume Ier peut-être ce fanatisme soldatesque qui est une tradition des Hohenzollern, que s’il a l’ambition d’être un souverain réformateur, il se sent avant tout un prince militaire. Il met le dernier mot de sa politique dans son armée, — et M. de Molke, en prêtant récemment l’appui de sa vieille autorité aux nouveaux crédits, s’est fait une fois de plus le théoricien des armemens nécessaires toujours croissans en vue d’événemens toujours possibles. Il n’a pas caché que ce qui avait été conquis par l’épée devait être conservé par l’épée, que l’armée n’était pas seulement la gardienne de la grandeur extérieure de l’Allemagne, qu’elle était aussi la protectrice de l’ordre intérieur, qu’elle avait un double rôle national et social, qu’elle était, en fin de compte, la meilleure garantie de la paix. Eh bien ! Guillaume II aura probablement ses crédits, il aura son armée, son supplément de puissance : qu’en fera-t-il ? C’est là toute la question ; elle ne laisse pas d’intéresser l’Europe, tous les autres états, l’Angleterre elle-même, dont le gouvernement n’a échappé jusqu’ici à un conflit avec l’Allemagne qu’à force de concessions dans les affaires de l’Afrique orientale.

A voir les choses de près, en effet, il semble bien que l’Angleterre commence à ressentir quelque malaise dans ses rapports avec cette puissance allemande, qu’elle rencontre plus que jamais devant elle au