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au sénat un projet savamment discuté sur les accidens du travail, en d’autres termes, sur la responsabilité des patrons envers les ouvriers victimes de leur industrie. A la chambre, il y a trois ou quatre propositions : l’une propose l’institution de délégués ouvriers chargés, avec mandat officiel, de surveiller le travail des mines dans l’intérêt de la sécurité des mineurs ; l’autre, sous prétexte de donner une sanction à la loi sur les syndicats professionnels, propose des pénalités contre les patrons qui gêneraient l’action de ces syndicats ou refuseraient d’employer les affiliés aux associations ouvrières. Ajoutez à cela une interpellation récente qui ne tendrait à rien moins qu’à restreindre l’autorité des grandes compagnies de chemins de fer sur leur personnel, au risque d’affaiblir les garanties de la sécurité publique.

Ce ne sont là que quelques-unes des idées, quelques-uns des projets qui ont cours aujourd’hui. Il n’est pas difficile de saisir entre eux un point de ressemblance, de voir percer partout la pensée d’antagonisme et de défiance à l’égard du patronage. Ces délégués mineurs qu’on veut créer ont tout l’air d’être des fonctionnaires nouveaux du « quatrième état » qui seraient chargés de surveiller les ingénieurs et pourraient au besoin enrégimenter toute une population minière pour les grèves. Par la loi complémentaire sur les syndicats professionnels et les pénalités qu’on propose, il est clair que les patrons ne seraient plus maîtres chez eux, qu’ils auraient encore la responsabilité sans avoir la direction de leur industrie. Et ce n’est pas ici simplement un mot. On a vu récemment dans une grève des verriers, un seul ouvrier, agent d’un syndicat, tenir en échec les patrons obligés d’éteindre momentanément leurs feux. Vainement un homme aussi éclairé qu’expérimenté dans les affaires, M. Aynard, député de Lyon, a démontré avec une éloquence serrée et décisive le danger de ce supplément de loi sur les syndicats ouvriers. Le langage de M. Aynard était la raison même. On a voté néanmoins par entraînement, par suite d’un « état d’esprit » qui n’ose pas se refuser à une loi dite de « progrès social. » On ne voit pas qu’avec tout cela, sans parler des huit heures de travail, on se lance dans l’inconnu, on risque d’éveiller des illusions, des espérances irréalisables. On ne s’aperçoit pas que ce qu’on prépare, ce n’est point le « progrès social, » ce n’est point la paix, c’est la guerre, et par suite une diminution de puissance industrielle, meurtrière peut-être pour les patrons, plus meurtrière encore pour les ouvriers eux-mêmes. C’est ici justement qu’il faudrait une direction, une politique sérieuse et décidée, écartant les chimères pour aller droit à la réalité, à la conciliation nécessaire de tous les intérêts nationaux.

Si nos affaires françaises ne sont ni simples ni claires, si elles se ressentent du conflit ou de la confusion de ces fameux « états d’esprit » qui ne peuvent arriver à se débrouiller et à se fixer, les affaires des autres pays ne semblent pas beaucoup plus aisées. Oui, en vérité,