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subtils casuistes de la répression ne voyaient pas qu’ils ne faisaient, toute proportion gardée, que ce qu’ont fait avant eux d’autres gouvernemens, le roi Charles X avec les ordonnances de 1830, la dictature de décembre avec les décrets de 1852. Est-ce que ces gouvernemens ont jamais avoué qu’ils voulaient détruire la liberté de la presse, la liberté de discussion ? Ils prétendaient, au contraire, la sauver de ses excès, de la licence qui la déshonorait. Ils distinguaient, eux aussi ! On n’allait pas aussi loin, c’est possible. On fait ce qu’on peut, selon les circonstances. On se bornait, cette fois, à rendre à la police correctionnelle le jugement des délits d’injures, au risque de compromettre la magistrature elle-même dans des répressions nouvelles.

Au fond, ce n’était qu’une œuvre de défense équivoque, une arme de parti, et ceux-là mêmes qui avaient imaginé cette loi l’ont avoué avec une sorte de naïveté dans leurs explications au moins singulières. De quoi s’agissait-il en réalité ? Est-ce que cette réforme devait avoir pour effet de ramener la presse au respect des grands intérêts moraux et politiques du pays ? Est-ce qu’elle était destinée à garantir avec plus d’efficacité l’inviolabilité des lois, la constitution, le principe de la propriété, les droits de la famille, la liberté religieuse, la morale publique ? Nullement ; on se hâtait, au contraire, de déclarer que tout cela restait livré à la violence des polémiques, aux « folliculaires, » comme on les appelle. On n’avait pas besoin de la police correctionnelle pour la défense de la morale publique ! Tout ce qu’on voulait, c’était protéger ces pauvres fonctionnaires républicains, grands et petits, assaillis, opprimés, diffamés et intimidés par les journaux. Tout ce qu’on en faisait, c’était dans l’intérêt de ces modestes serviteurs de l’État. Le motif est touchant ! On oublie seulement que, si ces fonctionnaires, qu’on voulait protéger par la police correctionnelle, sont soumis aujourd’hui à une condition assez dure, ce n’est pas par la presse qu’ils sont menacés et opprimés, c’est bien plutôt par les délations, par les comités, par les sectaires de localité, occupés à surveiller les petits employés qui vont à la messe et empressés à les dénoncer, à réclamer leur déplacement au moment des élections. Là est le mal, la plaie pour les fonctionnaires, bien plus que dans quelques articles de journaux ; — et telle qu’elle était présentée, la loi n’était qu’un enfantillage.

Que la presse, par ses polémiques et ses excès, ait joué un rôle dans la dernière crise ; qu’elle ait pu surtout donner à cette crise dont on s’émeut encore une force factice et un caractère particulièrement violent, c’est bien clair. En définitive, elle ne l’a pas créée ; ce n’est pas la presse qui a mis le déficit dans les finances, la partialité dans l’administration, le trouble dans les intérêts et dans les consciences, le mécontentement un peu partout, — et, si on veut enfin rendre la paix civile au pays, ce n’est pas par de petits procédés répressifs, par la police correctionnelle qu’on y arrivera. Le seul, le vrai moyen, M. Paul