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devraient toujours se défier des morceaux de bravoure pour ténor avec déploiement de bannière. Je passe le monologue soi-disant politique de Siméone au commencement du second acte ; mais comment passer, après qu’on en a tant ri, le chœur, risible en effet, des conspirateurs, accompagné par la sempiternelle flûte ? Après les échos de la Petite mariée, voici les souvenirs de Madame Angot.

C’est probablement la donnée du troisième acte : l’Enfer et le Paradis, qui a séduit le musicien et le librettiste, qui les a induits en tentation. Hélas ! ils ont succombé. Ils objecteront peut-être le précédent de Gluck ; mais alors vous devinez ce qu’on pourrait leur répondre, sans compter que Gluck lui-même, avec tout son génie, n’a traité que l’Enfer et le Paradis païens, beaucoup moins complexes, et, si l’on peut dire, beaucoup moins intellectuels, ou spirituels, et moraux, que ceux de Dante. Orphée, d’ailleurs, n’est pas sans pâtir, à la représentation, d’une mise en scène toujours périlleuse pour de tels sujets. Enfer, paradis, anges, démons, élus et damnés, de pareils tableaux n’échappent guère au ridicule, et les Valkyries de Wagner ou le chevalier Roland, dans Esclarmonde, semblent infailliblement des échappés de la lanterne magique. Les grands intermèdes symphoniques et descriptifs devraient se jouer rideau baissé, et c’est au dedans de nous que la musique essaierait de provoquer les visions que ne réalisent jamais ni des châssis peinturlurés, ni des projections électriques. Rappelez-vous seulement tout ce que les chauves-souris et les reptiles de l’Opéra font perdre de grandeur et de beauté fantastique à l’incomparable Fonte des balles ; rappelez-vous le prestige dissipé par la représentation, à l’Odéon, du Songe d’une nuit d’été. Imaginez ce que donnerait au théâtre la Course à l’abîme de Berlioz, le Ciel du Faust de Schumann ou le Déluge de M. Saint-Saëns… Mais, pardon ! je parle ou j’écris là comme au sortir de la répétition générale. La machinerie de l’Opéra-Comique ayant paru insuffisante et inexpressive, on a fait au tableau de la Divine Comédie des changemens, ou plutôt des coupures. On a supprimé tout ce qu’on voyait dans l’Enfer et beaucoup de ce qu’on y entendait. Le spectateur n’y a pas perdu grand’chose ; l’auditeur, malheureusement, n’y a rien gagné. Que de tapage fait cette scène, véritablement infernale ! Il y a pourtant, comme dans tout enfer, de bonnes intentions dans l’enfer de M. Godard, du moins sur le seuil de cet enfer. L’entrée de Dante, son invocation à Virgile, ne manque, il s’en faut, ni d’élan ni de puissance. C’est de beaucoup la meilleure page de la partition ; mais, en revanche, quelle ennuyeuse et maussade allocution de Virgile ! Après le fâcheux discours du poète latin, un rideau de nuages s’abaisse, et alors commence un charivari abominable. Dans la coulisse, on pousse des cris de toute espèce : diatoniques, chromatiques, et on les pousse à pleins poumons. L’orchestre lutte de violence avec les